Contestation étudiante : la méprise
Par Michel Frankland                Â
Le bouillonnement des émotions nous égare souvent sur nos vrais motifs. La dynamique des groupes l’illustre constamment. Les motifs s’entremêlent. Un motif plus conscient, plus identifiable, sert de porte-étendard aux autres sentiments charriés avec celui qui mène la parade. Celle du 22 avril 2012, partie du centre-ville, en constitue un exemple patent. On y constate divers niveaux de méprises.
La première méprise porte sur une attitude globale. Celle des aînés, baby boomers et plus âgés, se fonde sur un ordre social. Il y a une telle chose que l’État de droit. Le contrat social appelle des responsabilités, tant personnelles que collectives. L’élection d’un gouvernement lui donne le mandat de gouverner. Son pouvoir, délégué du peuple à chaque quatre ou cinq ans, lui confie le mandat de prendre les décisions qu’il juge opportunes. Des balises de la démocratie, opposition parlementaire, médias, groupes de pression, assurent les bases de la démocratie.
Plusieurs jeunes partagent instinctivement ce postulat, mais ils en mettent beaucoup sur la nécessité d’un dialogue avec le pouvoir. Pour eux, un véritable leader doit placer bien haut dans ses priorités une vérification fréquente auprès de ses commettants, surtout sur les décisions essentielles. Ainsi, le gouvernement sera surtout un porte-parole du peuple. Le pouvoir doit d’abord être populaire. Dialogue constant, écoute humble des voix de la rue.
Cette méprise provient de deux excès. Dans un univers électronique, l’information se trouve directement accessible. Il s’en dégage une double caractéristique : les branchés, soit une substantielle majorité, peuvent procéder à des comparaisons immédiates. Une hausse des frais de scolarité ? ! Il y a plusieurs pays où c’est gratuit. Bien mieux, en Finlande, on paie l’étudiant pour qu’il aille à l’école ! L’autre caractéristique, on l’a vue à l’œuvre tant dans les rues de Montréal qu’au Caire ou à Moscou : le réseau internaute permet une action de masse immédiate. L’excès populaire consiste à croire qu’il tient une moitié du pouvoir. Il s’ensuit que les tribuns nés peuvent exploiter cette puissance politique pour déstabiliser les bases mêmes de la démocratie. Se former un parti ? Ils s’en gardent bien. Ils enseigneront – l’histoire, la philosophie – ou exerceront leur goût du pouvoir à travers l’autorité syndicale. Bref, le pouvoir sans les responsabilités.
L’excès complémentaire provient du gouvernement. Habitué à des bases démocratiques bien définies, il ne voit pas toujours la nécessité, voire l’urgence, d’expliquer clairement et à fond ses positions. Mais l’aveu d’une déficience dans les menées de l’État s’avère un pas par trop difficile à franchir. Comment se fait-il que tout à coup, après tant d’années de gel, on augmente soudain les frais de scolarité ? En fait, il ne faut pas chercher bien loin. L’État, avec ses quelque 250 milliards de dette, se trouve pris à la gorge. On peut imaginer sans peine des téléphones des autorités financières insistant en termes non équivoques : «La Grèce s’abime dans la déliquescence financière. L’Espagne et le Portugal ne sont pas loin de la catastrophe ; vous êtes dans le même sillage. Il est impérieux que vous redressiez vos finances.»
Imaginons-nous le parti au pouvoir avouer son incurie financière ! «Nous sommes obligés, à cause de notre incompétence au fil des années, d’augmenter rapidement les frais de scolarité car les banquiers nous mettent le couteau sur la gorge.» En fait, il s’agit d’un rattrapage. L’indexation au coût de la vie aurait produit environ le même montant.
L’intelligence consistant dans le pouvoir de gérer l’information, les quotients moyens sont de plus en plus dépassés par la complexité croissante des problèmes. Si bien que le choix  responsable du politicien exigerait un supplément d’âme qu’il a rarement : expliquer au peuple la magnitude et la complexité des problèmes et les conséquences souvent ardues que leur solution exige.  Et ainsi, perdre le pouvoir. Ou alors, beurrer le pain populaire de toutes sortes de confitures au-dessus des finances de l’État. Il reste au pouvoir, mais au prix d’une montée constante de la dette.
Scot Peck, dans Le Chemin le moins fréquenté, définit la névrose comme le refus d’une souffrance utile et salutaire. Les conséquences, explique Peck, seront bien plus lourdes à porter que l’effort de transparence qu’il aurait fallu produire. Nous nous réveillons donc, comme société, avec le fruit empoisonné de l’incurie de nos dirigeants.
En somme, voilà une première méprise. Elle est capitale en ce qu’elle porte sur deux attitudes de fond, chacune marquée d’une carence grave. D’une part, le pouvoir légitime n’est pas dans la rue ; d’autre part, une saine gestion gouvernementale exige une transparence, une humilité, une pédagogie incompatibles avec une passion du pouvoir qui occulte la vérité due au peuple.
Dans des articles subséquents, nous considèrerons les autres niveaux de méprise impliqués dans le conflit des droits de scolarité.