Montréal

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« Papa Hubert », ce Bon Samaritain.

21-02-2012

« Papa Hubert », ce Bon Samaritain.

Par Éric E.G. NOGARD                 

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Hubert n’était pas un parangon de vertu et son panégyrique n’est pas l’objet de notre propos.

Il nous semble absent de bien des palmarès, ce qui peut arriver : certainement par oubli, ce qui peut vouloir dire qu’on l’en a écarté.

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Disons qu’un Géreur d’Habitation – ainsi désignait-on l’Administrateur d’un Domaine Agricole en Martinique – un Géreur  d’Habitation le remarqua un jour et vit en lui un Homme de Ressource dont pourrait profiter le Domaine qu’il gérait.

 

Un Domaine faisant partie de la Presqu’île de la Caravelle, vrai Duché de DUBUC qui régna sur la Martinique du temps où elle était Anglaise.

 

Un Domaine rappelant assez la Provence, voire la Grèce, avec son sol aride qu’il fallait rendre prospère, alors que manquaient cruellement les bras, surtout en certaines périodes de l’année où la canne à sucre réclamait beaucoup de travailleurs saisonniers.

 

Mis à part le gardien du phare de la Caravelle, quelques familles de pêcheurs, les attachés au domaine qui leur donnait du travail à plein-temps, comme le berger qui sortait son immense troupeau de la bergerie construite de pierres et de chaux comme son mur d’enceinte.

 

Les moutons obéissant comme des séminaristes au claquement de son fouet, aux cris de son aide et aux jappements de son chien.

 

Le Cérémonial était chaque jour le même : départ au son de la conque de lambi et retour au coucher du soleil.

 

Telle était la communauté vivant en semi-autarcie sous le Contrôle du Géreur assisté de l’Économe.

 

Ces Administrateurs résidaient avec leurs familles sur l’Habitation.

 

 

Hubert n’avait pas son pareil en tout ce qu’il faisait et, de ce fait, on l’appelait « Papa ».

 

Tout le monde l’appelait « Papa ».

 

Il était né dans la seconde moitié du Dix neuvième Siècle et ses Parents étaient d’anciens esclaves, bien entendu.

 

D’un noir du plus bel Ébène, Hubert était de grande taille et, dans son corps filiforme, ses nerfs étaient d’acier, plus souples que les meilleurs essieux.

 

 

En Bon Samaritain qu’il était, pour être de la Paroisse de Sainte-Marie, deux choses comptaient pour lui : donner du bon travail et entière satisfaction d’une part, et, d’autre-part, jouir pleinement quasi au jour-le-jour de sa paie, le fruit de son travail, de la sueur de son front.

 

Est-ce de l’une, est-ce de l’autre qu’il mourut, très âgé au demeurant, et toujours soucieux de payer « Recta » le loyer de la chambrette qu’il occupait alors qu’il n’y avait ni retraite, ni allocation en ce temps là, pour les gens de sa condition.

 

Son Histoire nous le dira.

 

 

Rien que son Nom faisait envie à certains.

 

Il se prénommait Hubert, son patronyme était JOLY, sans la moindre particule, mais joli nom.

 

Et l’on comprend que les Le-Croupion ou les De-Fientes aient pu lui envier son Nom.

 

On disait « Papa Hubert » ou « Papa JOLY » – Ad Libitum – et chacun savait, tout comme les Grecs à entendre ESOPE, de qui il s’agissait.

 

 

Hubert était Aède et Maître du « Dammié ».

 

Le « Dammié » cette forme de combat-danse au milieu d’un cercle de Juges-Témoins où le son hystérique du tambour, les cris hurlés comme dans une arène, la lueur des flambeaux dans la nuit, les vapeurs d’alcool mélangées à la fumée de pétrole, à celle du « gros tabac », faisaient des combattants des lutteurs sans pitié, des gladiateurs droit sortis de l’enfer.

 

Hubert était Aéde, il était Troubadour, et jusqu’à son dernier souffle, jamais il ne se fit prier chaque fois qu’il lui fut demandé d’improviser une Chanson de Bel’Air, de Ladja ou de Dammié qu’il pratiquait d’ailleurs en Maestro, en Champion, en Major selon le cas.

 

Très nombreuses sont de lui les chansons de Ladja qui sont tellement prisées en Martinique et dont nul n’a le souci d’en rappeler la paternité.

 

Nos Historiens n’ont pas retenu son Nom, vu qu’il appartient à la période obscure de notre préhistoire, à ce temps où le Dammié était une danse sans pitié, une danse de combat au milieu d’un cercle, au son du tambour, des chants provocateurs et excitants, devant témoins peut-être épris d’alcool :

 

Un violent coup de talon, suite à une fulgurante pirouette, et c’était la « Blesse » souvent mortelle, malgré les soins du séancier.

 

C’était la mort pour Cause Indéterminée car nul gendarme ne parvenait à faire « transpirer » les Secrets du Cercle de Dammié.

 

Hubert était un Maître Réputé du Dammié qui en ce Temps n’était pas un Simulacre pour Touristes et Maisons dites de la Culture, pas plus qu’une simple chorégraphie.

 

 

Et Hubert fut un Ancêtre de la Profession dite des Ressources Humaines.

 

Faute de bras, une Habitation était condamnée à péricliter.

 

Et, faute d’argent, c’était la misère dans les quartiers à forte population.

 

Et Hubert jouissait de la Confiance Unanime.

 

Le Géreur lui demandait tant de bras adultes, tant de bras d’adolescents pour les « petites bandes ».

 

Pour y satisfaire, Hubert parcourait mornes et coulées, frappait à toutes les portes, recrutait les meilleurs, en faisait sa Tribu :

 

Réunis à l’heure et à l’endroit convenus, le convoi s’ébranlait, à pied, de nuit, par des sentiers connus seulement d’Hubert.

 

Au jour dit, à l’heure dite, les effectifs étaient présents devant le guichet de l’Économe qui les enrôlait et leur attribuait un logement… En fin de saison, Hubert ramenait la Tribu, « Spoutourne » et « Grand-Jean » ont ainsi prospéré grâce à Hubert, cet Homme Providence, Pourvoyeur de Bras Vigoureux à l’Habitation par-ci et Contributeur à la Prospérité des Mornes et Coulées par-là.

 

Si la Terre pouvait parler.

 

 

Et c’est Liens ainsi que « Papa Hubert », que « Papa JOLY » l’Aède, le Troubadour, le Parolier du Bel-Air, le Champion du Ladja, le Major du Dammié, le Recruteur de Bras qui ferait envie tant à Agamemnon qu’à Colbert ou à Napoléon, succomba sous les remerciements.

 

Car en ce temps de notre préhistoire, de notre époque obscure, pas de merci qui vaille sans un sec, sans un coup de taffia, sans un coup de grappe blanche, ce rhum alcool de la canne à sucre, titrant 55° au bas mot.

 

C’était faire offense que de refuser le sec indissociable d’un grand merci.

 

En Bon Samaritain, Hubert le savait bien.

 

Hubert pour rien au monde n’offenserait personne !..

 

Autrement, il eût peut-être été encore de notre monde, si différent du sien.

 

 

Hubert s’en alla sans bruit et sans trompette rejoindre ses aïeux et sa fille Annette « partie » bien avant lui sur la pointe des pieds :

Ses quatre autres filles, Anite, Fidélia, Eliza et Josèphe le pleurèrent chaudement et sainte-Marie sa Paroisse le regretta beaucoup et doit certainement le regretter encore, ce vieux Papa Hubert.

 

Remarque : Nos chroniques expriment l’opinion de « Martinique Province Française », un Mouvement Français dont la consistance se confirme de jour en jour.

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Lexique :

 

ü    Habitation : Domaine Agricole.

 

ü    Géreur : Administrateur du Domaine.

 

ü    Économe : Comptable.

 

ü     Blesse : Traumatisme interne pouvant être assorti d’hémorragie.

 

ü    Séancier : Guérisseur non reconnu par la Science.

 

ü    Taffia : Rhum blanc.

 

ü    Grappe Blanche : Rhum blanc de première qualité.

 

ü    Sec : Tord boyau, coup de rhum sans mélange.