PROPOSITIONS OPTIMALES – FONCTIONNAIRES
par Michel Frankland
Nous avons déjà considéré ensemble, il y a quelques mois, le danger de dérapage dans la fonction publique. Reprenons ce sujet maintenant dans l’optique de ce que pourrait être une loi qui encadrerait mieux la fonction publique.
Rappelons un fait auquel on ne réfléchit généralement pas assez. La fonction publique jouit d’un pouvoir plus considérable que tout autre organisme relevant de l’État. Je ne parle pas des principes. Car sûrement que le système judiciaire, nanti de son pouvoir ès légalité, ce qui inclut l’esprit de la loi, pourrait châtier n’importe quel fonctionnaire qui ne se conformerait pas aux prescriptions de la loi. De même, le pouvoir législatif  pèse lourd par sa faculté de rédiger les lois. Et le pouvoir exécutif n’est pas en reste puisqu’il est chargé de faire appliquer les lois : les forces policières et le système pénitentiaire dépendent de lui.
Tout cela, en effet, c’est la théorie. Dans la vraie vie, ce sont les fonctionnaires qui détiennent le pouvoir. Ce sont eux, en effet, les éminences grises du pouvoir. Tout – les transmissions de documents, les recherches pour les organismes mentionnés plus haut, les rédactions de lettres, l’agenda des parlementaires, les contacts avec les médias, etc. – passe par eux. Ce sont eux également qui gèrent les incidences complexes de l’impôt auxquelles sont confrontés les citoyens. De même pour l’application de la loi électorale.
Mais ce sont aussi des êtres humains. Ne perdons pas de vue l’influence énorme des émotions sur l’orientation de nos vies, tant personnelles que collectives. Or, le fonctionnaire se trouve sollicité sur deux fronts. D’une part, il n’a pas bonne presse, tant à cause du pouvoir dont nous venons de parler et que craint le peuple, qu’à cause de la nature de son boulot. En effet, ce boulot est perçu comme une sinécure (les farces sur l’oisiveté fonctionnaire abondent). D’autre part, non seulement se sait-il à la fois craint et peu estimé de la population, mais je crois également qu’il estime son travail peu créateur. Les chansonniers, les sportifs, la spontanéité populaire constituent un foyer vital alors que le fonctionnaire joue le rôle de gratte-papier aussi redouté que stérile aux yeux du peuple.
Je rappelle ici un exemple que j’ai rapporté il y a quelques mois. Après un cours de bridge, je vais prendre un verre avec une de mes étudiantes. Elle est notaire et travaille à la fonction publique. Nous sommes en 1994,  en plein massacre dans les Laurentides lié aux menées funestes du Temple Solaire. Je veux qu’elle m’éclaire sur le fait que plusieurs membres du Temple Solaire étaient des fonctionnaires. D’où mon invitation au resto. Ce qu’elle me révèle correspond justement aux remarques qui précèdent :«Nous, les fonctionnaires, on se sait mal aimés. Nous sommes les scribes et les pharisiens de l’âge moderne. Quand les manipulateurs du Temple Solaire nous prêchent à quel point nous sommes des citoyens d’une qualité exceptionnelle puisque nous servons l’ordre et le pouvoir, nous nous sentons enfin estimés et compris. Il leur sera facile alors de dénicher chez nous les plus vulnérables à cette propagande habile pour les entraîner progressivement à une obéissance aussi totale que mortelle.»
L’autre réaction, au fil des journées grises de la fonction publique, consiste à assouvir une soif du pouvoir. Un ami remarquait récemment que nous avons en nous, virtuellement, tous les crimes possibles. Oublions les crimes crapuleux dont les journaux font état périodiquement, et ne retenons pour la circonstance que cette autre puissance naturelle aussi forte que les pulsions sexuelles : la soif du pouvoir. Le fonctionnaire, au cœur même des rouages du pouvoir, est forcément tenté par celui-ci.
Je ferai paraître bientôt la seconde partie : quelle sera donc la proposition optimale que génèrent les considérations développées ici ?
Michel Frankland
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