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Produisons notre engrais

25-01-2012

Produisons notre engrais

Jean Erich René
Ing. Agronome

Le sol est un bien précieux que nous devons tous soigner jalousement en vue de garantir notre existence. Ses différentes couches renferment l’histoire de l’humanité aussi que les diverses transformations subies au cours des ans.  Il sert de tombeaux et d’archives à différentes espèces vivantes animales et végétales qu’il a vues naitre et disparaître. D’ores et déjà on peut saisir la grande filiation qu’il y a entre le sol et ses habitants tout en portant l’accent sur les nombreuses civilisations humaines grâce à leurs fossiles.
Tant vaut le sol tant valent ses occupants qui y tirent les principaux éléments nécessaires à leur existence. Il revient au sol  de débarrasser  l’homme, malgré son indifférence, des détritus qu’il a produits, de détruire les microbes qui pullulent dans son environnement, de combattre silencieusement la pollution de l’eau si indispensable à ses besoins quotidiens. Le citadin et le paysan n’ont pas la même perception du sol. Si le premier le ravale à la poussière qui le dérange quand souffle le vent, le second qui le pioche toute l’année l’identifie  comme  un moyen de subsistance indispensable à  la vie sur notre planète.  Il est extrêmement important de noter que le sol a mis des millénaires pour se constituer. En le méprisant, par ricochet on  minimise les conditions de vie et surtout nos assiettes alimentaires.
Le sol en assurant la croissance des plantes empêche l’érosion  éolienne et aquatique. La qualité du sol dont disposent une localité, une région, une nation, conditionnent leurs richesses. Leurs productions agricoles  en dépendent étroitement aussi que leurs capacités de nourrir leurs peuples. Les aléas de la nature ont voulu que certains habitants héritent de sols relativement pauvres. D’où le calvaire  qu’ils gravissent pour s’approvisionner en aliments. Nous pouvons citer en exemple les pays d’Afrique, ordinairement affectés par la sécheresse comme la Somalie dont les habitants font face actuellement aux affres de la faim. Il suffit de prendre conscience de l’importance de la nutrition pour le métabolisme des animaux pour saisir le rôle vital du sol. L’homme  ne peut pas se contenter de vivre à l’état de nature mais doit pourvoir à ses immenses besoins.
En général la fertilité d’un sol dépend de 4 composantes :
1.       Matières organiques
2.       Matières inorganiques
3.       Eau
4.       Air
En effet, un sol de bonne qualité renferme :
•         50% de matières minérales et organiques,
•         50%  d’espace occupé par l’air et l’eau.
Les pédologues en se basant sur le diamètre des particules  distinguent deux types de sol :
1.       grossier
2.        fin
Du point de vue agricole la meilleure texture de sol est déterminée par :
•         sa perméabilité c’est à dire la facilité de circulation de l’air et de stockage de l’eau éventuellement captés par les racines pour assurer la cuisine de la plante.
•         la quantité et la qualité des nutriments indispensables aux plantes tels que calcium, potassium, magnésium, zinc, fer etc.  principales caractéristiques de sa fertilité.

Toute la production agricole et l’importance quantitative et qualitative de nos récoltes dépendent  des composantes du sol c’est à dire des éléments nutritifs qu’il contient comme l’humus, cette matière organique noirâtre qui n’est autre que le produit de décomposition des plantes et des animaux qui y ont vécu, sans oublier les microorganismes présents.

Notons que les bactéries (image ci-contre)  fixées sur les racines ont la grande capacité de capter  l’azote du  sol (N) pour y ajouter des molécules d’hydrogène (H) afin de constituer l’ammoniaque dont la plante se sert pour produire ses acides aminés. L’excès reste dans le sol et l’enrichit pour les prochaines cultures. Dans les milieux aquatiques tels que  le lac Azueï et l’Etang de Miragoâne   l’azote indispensable aux poissons, est synthétisé par les algues. Ainsi peut–on expliquer la catastrophe récente des poissons du Lac Azueï suite au déversement  d’alluvions et principalement des matériaux empilés au bord de la route pour rehausser son niveau d’étiage. Il s’en suit la mort des algues et subséquemment, par eutrophisation l’asphyxie des populations lacustres : poissons, crocodiles etc.    
La pédologie, c’est à dire la science qui étudie les sols,  classe les mollisols comme les meilleurs  au Monde. Le territoire américain en possède 22%. Grâce à cette richesse naturelle, les USA ont pu frayer la voie à leur développement . Cependant il faut aussi mentionner l’intervention intelligente de Thomas  Jefferson qui a su recommander la Physiocratie c’est à dire cette doctrine qui privilégie la Politique de la Terre, comme le fil conducteur de la croissance  économique.
Pour suppléer à la carence  d’azote dans le sol,  l’industrie chimique, depuis la Deuxième
Guerre Mondiale a mis sur le marché l’urée commerciale propre à la fertilisation  de nos sols. Une telle prouesse chimique a considérablement augmenté la production agricole et produit le miracle de l’autosuffisance alimentaire des pays développés.
L’engrais chimique coûte très cher avec  l’inflation qui accable le monde. Actuellement les paysans de l’Artibonite confrontent de grandes difficultés pour s’approvisionner  en engrais. Le prix du sac de 100 livres d’urée n’est pas à la portée de nos planteurs. Selon  les données de « Enquête de performance de la Campagne  de septembre 2011 » rédigées par le CNSA ou Conseil National de Sécurité Alimentaire, la consommation d’engrais en Haiti l’année dernière était de 45.000 tonnes dont 50% sont utilisées dans les rizières de l’Artibonite. Le prix du sac d’urée varie, selon les régions de 450 à 1600 gourdes. Le Gouvernement de la République était obligé de subventionner l’engrais. En 2011 le prix d’un sac d’urée fut de 2000  gourdes.
Source:
http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Full_Report_2956.pdf

D’une part, il appert donc que les dépenses en engrais de la République d’Haïti augmentent de jour en jour. Nos agriculteurs continuent à gravir un calvaire pour se procurer l’engrais indispensable à la fertilité du sol. D’autre part  les planteurs de l’Artibonite confrontent  l’épineux problème du coulage de l’urée . Quelque soit le volume d’engrais appliqué il se perd dans le sol avant d’être absorbé par les racines.

Diagnostic de la fuite d’engrais de l’Artibonite et  solution

De l’avis des pédologues cette fuite spectaculaire est principalement due à une variation de la texture du sol suite à un usage excessif  et prolongé d’azote. Pour mieux saisir les  données faisons appel aux triangles des textures du sol.

Selon la Théorie des Triangles des textures du sol dont les 3 côtés son respectivement représentés par: sable, limon et argile, développée par l’USDA ou Département de l’Agriculture des Etats-Unis d’Amérique, les composantes d’un sol sont déterminantes pour:
Рsa perm̩abilit̩
– sa capacité de rétention d’eau
– son drainage
Рsa fertilit̩
Рle degr̩ de p̩n̩tration des racines
En effet, un drainage trop rapide  entraine la percolation de l’eau d’irrigation y compris l’évacuation des éléments nutritifs du sol. Un bon sol doit contenir 30% d’argile pour une irrigation et un drainage bien équilibré. Dores et déjà on peut saisir l’importance de l’argile dans la structure du sol. Sa carence entraine l’augmentation des pores du sol tandis que sa présence  facilite un écoulement proportionné de l’eau d’arrosage. Certaines réactions chimiques importantes interviennent entre l’argile et les autres éléments du sol au niveau des ions c’est à dire anion et cathion


Matière organique           Particule d’argile

L’une des caractéristiques les plus importantes de l’argile pour la fertilité du sol c’est sa charge électrique  négative qui attire les ions positifs des éléments nutritifs tels que : Calcium(Ca++) , magnésium( Mg++ ), zinc( Zn++ ) et fer( Fe++). Ce phénomène connu sous le nom d’adsorbtion empêche le lessivage des éléments nutritifs du sol par l’eau d’irrigation. De plus l’argile ne garde pas   les ions négatifs des nitrates . Il appert que tout excès d’azote dans le sol va descendre rapidement dans la nappe phréatique. D’où l’importance d’une utlisation judicieuse de l’engrais azoté. La structure du sol de l’Artibonite s’est dégradée par suite d’un usage abusif de l’azote dans les rizières. Une analyse de laboratoire diagnostiquera le niveau de sa composante en argile. Le cas échéant,un apport de matières organiques  pourra aisément y suppléer.

Dans ces conditions on se demande si l’engrais chimique est vraiment indispensable ? Il est à la fois dangereux et trop onéreux pour le Gouvernement qui est obligé de le subventionner. Il y a une autre alternative à l’engrais chimique. Suite à la chute de l’Empire Soviétique en 1991 Cuba qui fut son satellite dans la Caraïbe confrontait de graves problèmes d’approvisionnement en fertilisant.  Ses dirigeants ont vite développé

le programme  de fertilisation naturelle en cultivant des vers appelés à fabriquer les éléments nutritifs nécessaires au rendement des cultures. Les vers de terre creusent des galeries dans le sol en favorisant son aération, son irrigation et son drainage, trois propriétés qui caractérisent un bon sol. Le ver de terre peut descendre jusqu’à 2 mètres dans le sol en effectuant un véritable travail de labourage. Il transporte du sous-sol les oligo-éléments nécessaires tels que le fer, le souffre sans froisser les racines.Le lombric compost est un fertilisant biologique largement utilisé à Cuba et dans beaucoup de pays d’Europe pour une agriculture saine et peu couteuse.  Tout  d’abord il faut des vers pour produire cet engrais organique. Voici la recette de sa fabrication :
Boite à compost


1.- Construisez une boite ou bien fouiller  un trou  de  60 cm de largeur par  100cm de longueur jusqu’à  50 cm de profondeur.
2.- Placez au fond une couche de paille.
3.-Remplissez- le trou ou la boite de  débris végétaux et de déchets  de cuisine.
3.- Après chaque lit d’ordures végétales, répandez quelques pelletées de terre comme couverture.
4.- Arrosez-les de préférence avec de l’eau de pluie qui renferme naturellement beaucoup d’azote, de façon à ce que le sol ne soit pas détrempé.
5.- Capturez quelques vers de terre dans le voisinage et placez les  sur ce matelas. Ils vont se multiplier pour opérer ce véritable travail de conversion.  Grâce à l’oxygène de l’air les vers de terre transforment la matière organique en humus C’est l’humididité qui favorise la multiplication des vers pour produire le lombric compost  que vous mélangerez avec le sol de votre jardin pour obtenir d’excellentes récoltes sans engrais chimique.
Le lombric compost est 100% naturel et a la grande réputation d’être le meilleur fertilisant du sol. Pour un meilleur résultat le lombric compost  sera  utilisé dans la proportion  de 7 livres pour 25 m2.  

Soulignons que le lombric compost ne produit pas d’effets secondaires telle que la brûlure des plantes due à une surdose ou perte en profondeur des éléments nutritifs. Cette technique a permis à Cuba de remplacer l’engrais chimique que lui fournissait la Russie et qui lui manquait après sa chute.  L’agriculture cubaine comme réponse pour suppléer à la fois aux besoins de transport des produits végétaux vers la ville et l’alimentation de la population a inauguré l’Agriculture urbaine grâce à la production de 3 à 4 millions de tonnes d’engrais organiques sur une superficie de 140 Km2. Voilà comment le régime cubain a pu échapper à la famine.
Le lombric ou ver de terre mieux connu en créole sous le nom de Vètè produit le Lombric Compost qui remplace tous les engrais pour fertiliser sans frais,  le sol source de vie et d’aliments.
Avec la récession économique qui s’accentue , la décote de la gourde se prononce de plus en plus. Compte tenu des millions de tonnes d’ordures ménagères qui jonchent les rues et les marchés publics de Port-au-Prince et de nos villes de Province, l’industrie de l’engrais organique peut être lancée aisément. C’est écolo et ce n’est pas la matière première qui manque. Quelle est cette affaire de subventionner l’engrais? N’est-ce pas une occasion d’enrichisement illicite pour les privilégiés du régime sans aucun rapport avec le monde agricole ? A long terme les caisses de l’Etat seront grevées. Cette mesure est dégénérative et agonisante. Nous suggérons au Gouvernement Martelly Conille la réouverture de l’usine à compost de la Route de l’Aéroport qui fonctionnait sous la Direction de la BNDAI dans les années 1980. En appui, un Centre de tri permettra  d’approvisionner l’industrie de récupération et de transformation des déchets plastiques et métalliques. D’une pierre, par ricochet, on fera plusieurs coups tout en créant de l’emploi.  Produisons notre  propre engrais!  

Références:
•    Benyus, J.M. 1997. Biomimicry: Innovation Inspired by Nature, New York: Perennial
•    Dodson, S.L, et al. 1998. Ecology. New York: Oxford University Press.
•    Smith, R. L. and T.M Smith. 2002. Elements of Ecology 5th ed.