Montréal

Nouvelles

Chute et rechute

20-09-2011

Chute et rechute.

Par Jean-Paul Kozminski                

Assis sur la marche d’escalier, nous prenons le soleil. Épaule contre épaule nous respirons le bon air, sentons l’apaisante chaleur cajoler nos mains, notre visage. Le vent est du sud-ouest. Vent dominant, si l’on en croit la légère courbe des arbres. Beau ciel bleu, lumière enveloppante.

 

Catherine est pensive. Ses yeux regardent au loin, tournés vers son cœur de maman. Je vois ses pensées. Face à la réalité, elle mesure l’épreuve. Je sais ce qu’elle va dire : «Papa, Maëlle fait une rechute!». Grand coup dans l’estomac. Je ne veux pas regarder ses yeux embués. Silence des mots qui sonnent dans la tête. Non je ne jurerai pas même si des mots de rage impuissante se heurtent dans la boite crânienne. Absurde. C’est absurde.

 

Nous restons assis sans parler. Nous avions un espoir. Maëlle réagissait bien : aphérèses aux 10 jours, médication. Enjouée, vive comme un feu follet. Et puis… fin du rêve. Juste à la rentrée des classes. Mathieu et Maude frères et sœurs de Maëlle feront encore preuve de courage, de compréhension car, de nouveau, le rythme de vie sera lié aux séjours à l’hôpital. Ils vivront aussi une angoisse diffuse, essaieront encore de supporter par des câlins, les moments de détresse de maman et de papa. Une gestion du quotidien qui les oblige à devenir rapidement plus autonomes. Ils comprennent la gravité de cette maladie. Ils l’appellent par son nom, Myasthénie.

Labelle, cette magnifique chienne Mira, vient s’interposer entre nos épaules. Nous laissons l’espace pour qu’elle puisse glisser sa bonne grosse tête. Elle s’appuie contre nous, aspire notre désarroi. Catherine la prend par le cou, caresse une oreille. Le soleil ferme nos paupières. Nos cœurs ont froid.

 

Papa Olivier repeint un côté de maison. Les yeux suivent le va et viens du pinceau. Quelques retouches et puis l’escabeau soulevé, replacé, le geste continu. Pas de joyeux «comment ça va?». Quand ça va mal les questions se posent à voix basse ou pas du tout. On sait.

Lentement une force sans espoir inonde notre petit monde. L’accablement s’estompe. Je pense au mythe de Sisyphe (Albert Camus) qui remonte sa pierre au sommet de la colline pour la regarder de nouveau, rouler, débouler… là… en bas, dans la vallée. Alors, sans un mot, sans une plainte, il descendra la montagne escarpée et poussera son rocher, encore et encore, jusqu’en haut. Son âme est au-delà, ailleurs, liée à son sublime destin. L’absurde ne nous paralyse plus. L’action se dessine. Nous ne sommes pas minés par des pensées anesthésiantes.

Brunch du dimanche. Alexandre, parrain de Maëlle, est parmi nous. Jean-Simon, jeune médecin aussi. Le projet se discute, prend forme, l’échéancier se construit. Cette force devient concrète : Jean-Simon crée un bijou d’horlogerie, Olivier le manufacture, Alexandre fait le montage des séquences filmées à l’hôpital et à l’usine. Grand papa, lui offrira des savons naturels (Olivier). Grand Maman apportera son expérience. Les profits? On y tient et on va en faire pour le Fonds de Maëlle… pour les enfants de Sainte-Justine. Nous allons concrétiser le désir de Maëlle : offrir aux petits patients du matériel pour dessiner, modeler, écouter, lire.

 

Nous entendrons quelquefois des rires, verrons des sourires qui seront comme autant de soleil. Mais vous reconnaissez ces sourires… vous avez déjà été irradié par ces regards lumineux.

« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cÅ“ur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. » (Albert Camus)