Montréal

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Mes filles : Bessan, Mayar, Aya, Noor.

27-04-2011

Mes filles : Bessan, Mayar, Aya, Noor.

Par Jean-Paul Kozminski

Le rêve : sur cette plage du Costa-Rica `Playa Carillo`, marcher sur la mer à marée basse. Le sable y est si doux que les pieds ressentent la douceur d’un tapis persan. Au loin, les collines brumeuses, encadrent la baie de couleurs pastel. Mes poumons aspirent les odeurs de mer, de feuilles, de fleurs. Je marche au soleil, Thérèse à mes côtés. Communion sans mots.

Mes yeux se dirigent vers une plaque plus sombre. De loin, il me semble déchiffrer des noms, une date. Je m’approche. C’est bien ça : des noms d’enfants?, une date. Inscrits avec soins, dessinés avec tendresse. Je reçois un petit choc au niveau du cœur : Gaza, 16 janvier 2009, 15h30 heure locale, un char israélien fait feu. Dans l’appartement du Docteur Izzeldin Abuelaish, gisent, décapitées, meurtries, bras, mains arrachées, cervelle éclatée, Bessan, Mayar, Aya, ses filles et Noor, sa nièce.

Il y a quelques jours, Docteur Izzeldin Abuelaish et ses enfants étaient sur la plage de Gaza, espérant un monde normal où l’eau et la nourriture ne seraient pas rationnés à la moindre calorie, où il y a une circulation libre de tous les citoyens, où les filles et les gars peuvent étudier et développer les dons reçus à la naissance. Elles avaient écrits leur nom sur le sable. Elles voulaient  que la mer garde leurs confidences. Elles savaient qu’un jour, leurs rêves pouvaient se réaliser. C’est leur père qui donnait cette confiance, lui qui, envers et contre tout, parvint à obtenir ses diplômes de médecins et est reconnu de par le monde, comme un grand spécialiste de l’infertilité.

Son livre « I shall not hate » publié chez «Vintage Canada», décrit son parcours et ces terribles évènements. Je dis «terribles». Comment penser qu’un canonnier, connaissant la demeure de cette famille innocente, puisse vouloir les assassiner?  Car l’armée, évidemment, couvre presque toujours ses crimes. De temps en temps un exemple passe en cour martiale et la mort continue.

J’étais donc là, devant le nom de ces enfants que je ne connais pas. Pas plus que je connaissais le nom de Bessan, Maya, Aya et Noor. Tuer des enfants. Au nom de quoi, de qui?

Je me souviens avoir lu une réflexion d’Abba Eban (diplomate et grand homme d’état israélien). Il disait que le «problème» palestinien-israélien était simple. Tellement simple que des enfants pouvait le résoudre (à condition de ne pas les désintégrer sous une pluie d’obus). Deux peuples revendiquent le même territoire. Il faut donc créer deux États adjacents. Évident mon cher Watson, isn’t it? Et bien non! pas pour ces rabbins, mollahs, et prêtres messianiques. Ces hystériques s’autorisant un pouvoir divin et exclusif (chercher l’erreur) n’espèrent qu’une chose : L’Apocalypse. La simple réalité est disparue derrière un nuage d’encens et de discours tous plus abscons les uns que les autres. Et ils refusent cette simple réalité : bâtir des ponts et non des murs. Permettre à l’Autre de venir me toucher la main, de croiser mon regard.

Docteur Izzeldin Abuelaish refuse d’accueillir la haine dans son coeur. Il trouve cette force intérieure, dans sa foi dans l’humain, dans le Coran. Comme quoi, la beauté, le sens du vrai et du beau sera toujours dans l’œil et le cœur de celui qui regarde, de celui qui écoute, qui soigne, qui respecte son frère.

Mes filles sont mortes. La mer a effacé leurs noms. Mais elle garde leurs secrets, leurs confidences, leurs espoirs. La mer, aujourd’hui, sur cette magnifique plage de Carillo du Costa-Rica, les a transportés jusqu’à nous. Avec force.

Un jour, face à l’Océan, vous aussi, sans doute, recevrez ce message de tendresse et d’affection porté par tous les enfants, nos enfants.

 

P.S : Docteur Abuelaish est professeur associé à l’École de santé publique  Dalla Lana à Toronto. Voir le site. www.daugtersforlife.com