Montréal

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Je me souviens …

09-02-2011

Je me souviens …

Par Agnès Devarieux-Martin

Je me souviens encore du bruit de l’eau qui frappait les rochers.

Je me souviens encore de la force des vagues qui cognaient résolument.

Je me souviens encore de l’écume jaillissante et des embruns pétillants.

Jour après jour, nous nous faisions bousculer, et pousser.

Chaque jour nous rapprochait du rivage mais nous l’ignorions.  Nous sentions bien qu’au-dessus de nos têtes, le volume d’eau était moins dense et que nous commencions à découvrir le ciel plus clairement.

La petite crique où les vagues nous ont rejeté mon ami et moi nous a surpris. Le sable était doré et fin comme de la poussière et les rayons du soleil s’y baignaient et leur donnaient l’apparence d’éclats  de diamants.  Nous avons été surpris par le poids accablant du soleil.  Aussi dense que l’océan.  Pas plus que moi, l’ami que j’hébergeais dans ma coquille n’a pas perçu le danger.  Nous étions tellement excités par l’aventure!

Je ne sais pas combien de temps cela a duré.  Cela m’a semblé très long sur le moment, mais maintenant je doute et me demande si cela n’a pas été très court.  J’ai senti mon ami suffoquer.  Il ne répondait plus à mes appels.  Je l’ai senti faiblir, mollir pour finalement glisser, glisser, glisser hors du creux qu’il occupait depuis si longtemps.  Impossible de me mouvoir et totalement impuissant avec ma coquille de plus en plus chaude.  Ce n’était plus du tout le petit nid douillet que mon ami avait toujours connu.  Là voilà qui se transformait pour lui en piège mortel.  Il est mort tout contre mon cœur, alors que le soleil était au zénith, juste au-dessus de nous.  Plus tard, quand la lune s’est montrée, ce qui restait de mon ami m’a quitté tout à fait et je me suis retrouvé seul dans ma coquille.

Longtemps, j’ai été triste et esseulé.  Pour me consoler, je chantais.  Du cœur de ma coquille montait le chant de l’océan, je chantais sa puissance, ses rages puis son retour au calme et ses doux murmures.  Je refaisais tous les bruits qui nous avaient bercés si longtemps mon ami et moi.

Puis un jour j’ai entendu « Oh le beau coquillage » et me suis senti transporté dans les airs.  J’étais maintenant posé contre un autre coquillage tout rose et tout doux.  J’ai chanté alors de toutes mes forces ma peine, ma solitude, mes angoisses et ma nostalgie.  J’exprimais la voix de l’océan comme un écho pour finir par un soupir d’amour.  Et c’est ainsi que j’ai fait ce que j’imagine mon dernier voyage.  Mon univers maintenant n’est plus l’univers, il se limite à quatre murs.  Je m’ennuie et l’océan en moi s’est tu.  Je perds mon âme tout doucement et je me souviens, je me souviens.