Montréal

Nouvelles

Heureuse perdante

13-05-2010

Heureuse perdante

Par Catherine Kozminski

Je fais probablement partie de la faible minorité des personnes qui ne regardent pas le hockey ou qui ne rêvent pas à la coupe Stanley. À part la marche, le monde des sports m’est plutôt inconnu. Ne me parlez jamais d’une équipe de hockey, de basket-ball, des joueurs de tennis, ce sera perdu d’avance ou nul comme conversation ! Toutefois, en fin de semestre, il me faut trouver de nombreuses astuces pour maintenir l’attention de mes jeunes cégépiens jusqu’à la dernière minute.  Je sais fort bien que si je parle de hockey en faisant des parallèles avec la langue de Molière que j’enseigne depuis bientôt dix ans, c’est gagné. Vous avez d’ailleurs sûrement pu constater cette affirmation en lisant des articles récents au sujet de certains manuels du primaire qui contenaient des capsules portant sur les joueurs du Canadien. Pour bien des gens, cette révélation souleva un tollé sans précédent, dénonçant l’inculture sous-jacente véhiculée par une inspiration trop populaire à leur goût. Par contre, ces mêmes personnes iront saluer leurs joueurs préférés sans se faire prier, car la fièvre du hockey est contagieuse et personne ne peut s’en passer … ou presque ! Donc, voilà que je me suis risquée à oser dire que les Canadiens ne gagneraient aucune partie, parce qu’ils étaient nuls (et voilà, c’est dit, je fais mon mea culpa). Ne vous fâchez pas trop vite, car je n’ai pas mesuré à cet instant la portée de mes paroles. Voyant les mines déconfites de mes étudiants et les « chou » en guise de protestation, je suis allée jusqu’à leur promettre des beignes, oui, de vrais gros beignes de chez Tim’s, si les Canadiens gagnaient contre Washington, convaincue que j’étais de leur défaite imminente. Hé bien, comme vous le devinez, j’ai perdu mon pari. Me voilà donc rendue, il y a de cela quelques jours, au fameux Tim’s près de chez moi en train de commander une soixantaine de « gros » beignes pour les fans numéro un des Canadiens. Quel bonheur ce fut d’enseigner en compagnie de quatre, non de six immenses boîtes de beignes dont l’odeur a imprégné tout le couloir du cégep, attirant des hordes d’étudiants envieux de leurs camarades. Jamais je n’ai été témoin d’un cours aussi silencieux, les yeux des élèves rivés vers l’avant de la classe, guettant le signal de la fin du cours pour qu’ils puissent enfin se saisir d’un bon beigne de chez Tim’s. En les regardant se délecter de la sorte, je me suis sentie envieuse moi aussi de ne pas partager cette magie issue du hockey, cette croyance que tout est possible, ce rêve rassembleur où toutes les cultures sont unies durant les séries. Ça m’a fait penser aux années quarante au Québec, lorsqu’on récitait le chapelet religieusement tous les soirs en tendant l’oreille vers le poste de radio qui guidait indéfectiblement les consciences. En prenant une bouchée dans un gros beigne bien gras au chocolat, j’étais heureuse finalement d’avoir perdu mon pari. Un frisson me parcourut subitement. Zut ! Je crois avoir attrapé la fièvre du hockey. À quand le prochain match ?