Montréal

Nouvelles

Le courage du Fataliste

15-02-2010

 

Le courage du fataliste

Le courage est la lumière de l’adversité.

Par  Catherine Kozminski

Vauvenargues

« Est-ce nous qui menons le destin, ou bien est-ce le destin qui nous mène ? », s’empressait de dire Jacques à son maître. Prédestination  ou hasard ? À vingt-deux ans, je me posais déjà la question en rédigeant mon mémoire de maîtrise sur L’Acacia de Claude Simon, mais surtout en pensant au triste sort de mon grand-père, Ignace Kozminski, exterminé dans les camps de la mort le 25 février 1945 en Allemagne. J’avais alors tendance à poser mon regard sur le passé et non sur le futur qui s’étendait devant moi. Je ne semblais pas alors comprendre que le présent du passé se jouxtait au présent du futur en venant l’assombrir, oubliant volontairement les sages paroles du philosophe Saint-Augustin. J’en voulais peut-être trop au destin ou peut-être était-ce au hasard, mais une chose est certaine, j’étais trop aveuglée par l’indicible pour admirer l’horizon de mon existence.

Presque dix ans plus tard, je me trouve dans une librairie à fureter dans les dizaines de livres qui s’étalent devant moi. Mon regard s’arrête sur des titres comme « Comment élever son enfant » ou « Passer à travers l’adolescence sans devenir fou », etc. Je souris et meurs d’envie à la fois de me retrouver dans un état d’âme faisant appel à la candeur, sentiment qui ne m’habite plus depuis longtemps. Ce que je cherche n’a en fait rien à voir avec les soucis quotidiens propres à nos responsabilités parentales, que ce soit en lien avec l’éducation ou à la gestion du stress. Non, je tente surtout de fuir une réalité que je ne veux pas mienne, mais qui fait que je ne peux plus échapper à mon propre destin ou serait-ce au hasard ? Quelques secondes plus tard, mes yeux se posent enfin sur un livre, perdu parmi tous les autres, portant sur les maladies neuromusculaires chez l’enfant et l’adolescent. Un peu plus loin, j’en trouve un autre qui traite de la vie au jour le jour avec un enfant malade. Comment peut-on se reconnaître à travers une réalité que nous craignons tant et à laquelle nous voulons échapper à tout prix ? Pourtant, c’est bien la mienne. Tremblante, je prends délicatement le livre portant sur les maladies neuromusculaires. Il me semble brûlant, mais je ne l’échappe pas.

Ma fille qui, en plus d’être autiste, est maintenant frappée par une maladie auto-immune touchant rarement les enfants de moins de dix ans : la myasthénie grave généralisée[1]. Elle qui avait fait tant de progrès en quatre ans … Partout, on me dit que je suis  forte, que l’on admire mon courage. On se demande même comment il est possible de tenir bon devant un tel acharnement du destin. Et le hasard dans tout cela ? Est-ce possible que tous les maux de Maëlle soient uniquement causés par un ensemble de circonstances hasardeuses qui ont fait d’elle une combinaison gagnante du symbole de la malchance ? De mon côté, je me concentre sur le temps, ce précieux temps qui passe auprès de mes enfants. Je n’ai pas une minute à perdre.

Depuis quelques mois, notre petite fille de sept ans rayonnait de bonheur et de santé auprès de son frère et de sa sœur, malgré sa différence. Intégrée dans une classe ordinaire, elle se préoccupait surtout de ses amis, des jouets qu’elle voulait demander au Père Noël, de la neige qui tombait dehors, préoccupations normales et saines pour une enfant de son âge. En quatre ans, de petite fille tétanisée par son autisme, elle s’est épanouie comme une rose au soleil. Puis, cette brève éclaircie a fait place au déluge, bien qu’aucune arche ne fut apprêtée pour notre famille, malgré les supplications, les implorations, les pleurs, le désespoir. Noé n’était pas au rendez-vous cette fois.

Je me pose donc la question suivante : est-ce lorsque le destin nous frappe que nous devenons encore plus forts ou sommes-nous déjà forts avant que le destin nous frappe ? Peut-on croire au hasard dans de telles circonstances ? Pourquoi sont-ce souvent les mêmes personnes à devoir traverser maintes intempéries, les unes après les autres, en scrutant tant bien que mal le ciel, dans l’espoir d’entrapercevoir une parcelle de bleu azur, et je pense bien sûr à nos sœurs et frères d’Haïti ? Leur force surhumaine ne repose en réalité que sur une loi bien simple : celle de la survie. On dit que la vie l’emporte sur tout. On dit aussi que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, encore faut-il en avoir quand ce dit ciel ne cesse de nous tomber sur la tête ou de faire trembler la terre.

Ainsi, dans Jacques le Fataliste, Diderot a bien su transmettre son message. Ces mêmes paroles, sur lesquelles je méditais il y a dix ans, prennent maintenant tout leur sens. Elles tendent à me faire comprendre qu’il me faut laisser couler la rivière, comme le dit si bien Marjo dans sa chanson, que je n’ai pas le contrôle sur ma vie et que je ne dois pas ramer à contre-courant. « Il fallait que cela fût, car cela était écrit là-haut. »[2] Comment ne pas en arriver à une telle conclusion, quand c’est l’adversité qui nous attend au détour d’un carrefour ?

 

 

«On passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire.»

Denis Diderot

 


[1] « La myasthénie grave est une maladie auto-immune qui provoque une faiblesse progressive des muscles de l’œil et du squelette. Dans la MG acquise les anticorps attaquent et détruisent les sites de la jonction neuromusculaire où se trouvent les récepteurs de l’acétylcholine (RACh), empêchant alors l’influx nerveux de parvenir aux muscles, et provoquant la faiblesse et la fatigue des muscles affectés. » Cette définition est tirée du site de la Coalition canadienne de la myasthénie grave. http://www.mgcc-ccmg.org/about.asp

 

[2] DIDEROT, Denis. Jacques le Fataliste et son maître. Paris : Flammarion, 1997, 355 p.