Montréal

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NEUVIÈME PARTIE

27-05-2022

NEUVIÈME PARTIE

par Michel Frankland

« Je m’étais à peine retourné que je vis devant l’église qu’un individu qui venait de descendre d’un des rares taxis de Sept-lies. II ragardait intensément dans notre direction. Je me retournai vers Ludger Marcoux. Il était parfaitement immobile et fixait l’individu. Celui-ci maintenant marchait à pas mesurés dans notre direction. Rendu à une quinzaine de mètres, il regarda derrière lui pour voir s’il y avait des témoins, puis sortit rapidement un revolver.

« Nous commençames à reculer lentement, les yeux fixés sur l’arme. Nous approchions du bout du quai. Mon pied toucha un chou en décomposition qui avait dû tomber d’une cargaison de légumes. Ludger Marcoux m’écarta d’une manière délibérée et ferme. Je reculai et faillis heurter Ti-Rouge, qui dormait comme une bûche. L ‘homme approchait. Il signifia en anglais à Marcoux de sauter à l’eau. Je saisis, malgré le vent, les mots « drown like a dead frog ».

« A l’instant où j’étais soudainement frappé par la certitude que l’agresseur ne pouvait être que l’officier anglais maniaque, Ludger Marcoux faisait semblant de se pencher pour plonger et, avec une rapidité déconcertante, saisissait le chou et le lançait avec force à la face de son assaillant. Déjà, il avait plongé vers ses pieds et lui faisait perdre l’équilibre. Un coup de feu retentit, puis Marcoux se mit à frapper très vite. J’entendis un craquement et un ‘han’ douloureux.

« Ludger Marcoux se levait lentement. Il regardait le cadavre à ses pieds. Il émit une brève expiration. C’était fini. Brusquement, il prit le pistolet et le jeta au large. Il n’y avait personne en vue, le petit village était à son souper.

– ‘Aide-moi’, dit-il, en empoignant le corps de l’officier par les épaules. Il me fixa soudain :

– ’11 t’a blessé au bras.’ Je ne m’en étais pas rendu compte. La balle avait effleuré mon bras, y traçant un sillon qui rougissait à vue d’oeil. Il sortit un mouchoir propre de sa poche, puis un couteau à cran, avec lequel il coupa rapidement des bouts de ma ligne. En un tournemain, il m’avait confectionné un pansement attaché avec des bouts de ligne.

« Il reprit l’ homme par les épaules. Je l’empoignai par les pieds. Ludger Marcoux traînait à reculons le corps vers le début du quai. Il s’arrêta à l’escalier en fer – les ‘steps’ – qui, à marée haute, pouvait servir de débarcadère.

– ‘On va descendre les steps avec.’ Devant mon visage interloqué, il précisa: ‘Tu vas voir.’