Montréal

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LE MONDE EN ORBITE 1

15-06-2017

LE MONDE EN ORBITE 1

 

 par Michel Frankland

On se souvient de cette mode verbale des noms compliqués – certains diraient «tordus » – par lesquels on nomme des caractéristiques humaines autrement que par les termes habituels. Ainsi, pour aveugle, on a eu recours à « malvoyant » et le sourd s’est fait affublé de « malentendant ». Arlette Pellé, dans Le cerveau et l’inconscient 1, analyse pertinemment cette déviation névrotique.

 

 

L’illusion de pouvoir se débarrasser du reel porté par les mots entraîne les changements de vocabulaire auxquels nous assistons. À qui les vieux mots aveugle et sourd faisaient-ils violence, demande N. Malinconi, « à ceux qui quoi qu’on fasse, savent jusque dans leur corps ce qu’il en est de ne pas voir ou de ne pas entendre ? Je ne crois pas. Plutôt à ceux qui voyant et entendant néanmoins néanmoins, répugnent tout à coup à dire le mot de ce réel-là, c’est-à-dire à le reconnaître, comme si le réel et sa violence étaient désormais intolérables et qu’avec malvoyant et malentendant ils allaient l’éviter aux autres mais surtout s’en protéger, eux ». Le réel et sa violence, les pulsions et ses excès, les passions et leur folie, qui imprègnent autant la chair des mots que la chair du corps, devraient rendre l’âme, pour laisser vivre rationnellement un humain machiné par les techniques de communication autant que par celles des rééducations.

 

 

« […]répugnent tout à coup à dire le mot de ce réel-là, c’est-à-dire à le reconnaître, comme si le réel et sa violence étaient désormais intolérables[…] » Voilà. La pensée magique en somme.

 

Les gens en orbite ne sont plus doux, mais douçâtres, Ils ne sont plus vitaux, vivants, mais énervés, nerveux qu’on enlève aux gens en orbite leur refuge verbal, leur bouclier de sensiblerie qu’ils prennent pour de la bonté.

 

 

Le décrochage des valeurs de fond pousse plus avant ses mensonges multiformes. L’affection désordonnée pour les animaux domestiques figure non seulement dans les déviations sentimentales ; elle implique aussi un remplacement de l’amour véritable. Le chien malade qu’il faudra euthanasier provoque chez plusieurs des épanchements qui connotent la perte du « grand amour » de leur vie. On peut comprendre la tristesse à perdre un animal de compagnie, cause de joie et d’affection pendant quelques années. Je signale simplement le ton hystérique que nous montrent on ne peut mieux les scènes télédiffusées sur ces épanchements.

 

 

Un exemple a fait beaucoup de bruit. Il s’agit de ce dentiste américain, Walter Palmer. Il tue un lion au Zimbabwe. C’est un lion de 13 ans, chouchou des touristes. Palmer l’a tué à l’extérieur du parc national – attiré par une carcasse placée là intentionnellement. Palmer devient instantanément l’objet d’une colère furieuse. Il est l’objet de véritables menaces de mort. Il doit renoncer à exercer sa profession, pendant longtemps en tout cas.

 

 

Ces mêmes enragés n’ont cependant pas vu le scandale infiniment plus grave des millions d’enfants qui meurent de faim et autant de jeunes qui meurent ou sont gravement meurtris, physiquement et psychologiquement, par les bombardements qui pleuvent sur eux, sur les hôpitaux et maisons d’enseignement autant que sur leur famille. Mon expérience auprès des pauvres m’assure que ce ne sont pas ces déformés de l’amour qui donnent aux organisations caritatives.

 

 

Dans le deuxième article, nous parlerons éducation. Je vous préviens, tout n’est pas rose… Mais vous le saviez déjà globalement. Alors, nous pousserons plus loin l’analyse.

 

 

1 https://books.google.ca/books?isbn=220060260X