Montréal

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LES TROIS CONTEURS ( première partie)

12-05-2022

LES TROIS CONTEURS ( première partie)

par Michel Frankland

François regarda la neige tourbillonner près des sapins disposés avec art autour de la somptueuse résidence de campagne. Décidément, Philippe de Granpré n’avait pas un besoin urgent de gros sous. Sa position de haut-gradé à Hydro-Québec ne faisait que prolonger un héritage que l’on disait considérable. Jacques Morrissette, lui non plus, avec sa BMW dernier modèle, ne faisait pas particulièrement dépourvu. Lavalin payait bien sa compétence.

Cette fin de semaine était agréable. François Morin avait pratiquement accepté leur proposition de se joindre à eux dans leur projet de bureau d’ingénieurs-conseils. En hommes efficaces, ils avaient couvert tous les angles, prévu toutes les difficultés: assurance d’obtenir de gros clients, pressions utiles auprès de la gente politique, emplacement des bureaux, fonctions respectives des associés, tout«baignait dans l’huile ».

« Relaxons un peu, dit Philippe de Granpré. Après deux journées bien remplies, nous le méritons! » il ouvrit un bar des mieux pourvu, et les trois hommes se fourbirent un verre à leur goût. Un air de Mozart vint ajouter au bonheur qui présidait à cette agréable réunion. Le paysage d’hiver s’y mariait fort bien, avec son soleil couchant jouant dans une légère poudrerie. Une atmosphère des plus sereines s’était tranquillement installée.

« Quand j’étais jeune, dit Morrissette, ma mère, les soirs d’hiver, nous contait des histoires. » Les deux autres l’écoutaient avec bienveillance, un rare climat d’accueil les habitait – les fantaisies de l’enfance trouvaient preneurs. « la plus belle dont je me souvienne, continua Morrissette, c’est la suivante:

« Il était une fois, dans la Russie des Tsars, un jeune homme impétueux, plein d’ambitions plus ou moins honnêtes. il voulait la richesse et la belle vie. Cette attitude bouleversait sa mère, veuve pieuse et humble. Elle essayait quelquefois de lui vanter les mérites d’une vie honnête; le jeune homme la faisait taire rudement. La mère, aimante et bouleversée, essuyait en silence ses larmes. L’être qu’elle aimait le plus au monde orientait ses énergies vers ce qu’elle abhorrait le plus – le dérèglement de la vie, avec son cortège de vols, de débauche, de violence. Elle priait donc sans cesse pour son âme, qui allait de mal en pis.

« Il fit bientôt partie de la plus féroce bande de brigands de la région. Larcins et duperies de toutes sortes n’eurent bientôt plus de secrets pour lui. Or, il y avait, dans la confrérie des larrons, une fille au coeur aussi corrompu que son corps était beau. Le fils en était amoureux fou. Par vanité, elle décida de le soumettre complètement. Elle lui enjoint, un jour, de tuer sa propre mère et de lui apporter son coeur comme signe irréfutable de son accomplissement.

(2’partie)