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« Enlevons nos œillères » ( partie 1)

13-04-2021

« Enlevons nos œillères » ( partie 1)

par Serge H. Moïse av.

Il est évident que celui qui veut bien s’orienter doit, avec ses deux yeux, regarder dans la même direction. Autrement il risque de se fourvoyer et de se retrouver aux antipodes de l’objectif qu’il s’était fixé. Il devra aussi, de temps en temps, jeter un coup d’œil à droite et puis à gauche, sans oublier le chemin déjà parcouru, histoire de vérifier qu’il est dans la bonne trajectoire et au besoin, changer de cap, afin de mieux parvenir à destination.

L’environnement immédiat de l’homme n’est autre que le reflet de ses propres structures mentales. C’est du moins ce que nous révèlent les femmes et hommes de science qui se sont penchés sur la question et nous pourrions faire référence à Sigmund Freud, Jean Piaget, Emmanuel Kant ou Albert Jacquard et le grand Cheikh Anta Diop. En d’autres termes, l’Haïti d’aujourd’hui projette notre vision des choses et reflète notre état d’âme profond.

Qu’un septuagénaire, respectable et respecté mais quelque peu désabusé, d’un ton pontifical vous tienne les propos suivants :

« Croyez-en mon expérience, moi qui ne suis pas né de la dernière pluie, j’en ai vu des vertes et des pas mûres, faites-moi donc confiance. Je suis ingénieur civil, donc très éduqué. Je me suis perfectionné en Italie et au Canada avant de revenir dans ce bourbier, je vous le dis, en vérité :

Haïti est un pays foutu. Il n’y a plus rien à y faire car le point de non retour est atteint depuis longtemps déjà! »

Si le ton est éminemment convaincant, enlevons nos œillères et reconnaissons que ses propos relèvent de la sénilité avancée et sont d’une déconcertante débilité.

Et si vous croyez qu’il s’agit là d’un cas exceptionnel, vous vous foutez un doigt dans l’œil et l’autre vous savez où. Ils sont légion ces malheureux qui n’osent pas se regarder bien en face eafin de réaliser qu’ils sont partie prenante de ce lamentable échec. Alors, pour apaiser leur conscience, si tant est qu’ils en ont encore une, ils font accroire que de toute façon, il n’y avait rien à faire.

« Il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir ». En effet, qu’un pseudo-aristocrate professeur de français à la retraite, après avoir passé trente ans à enseigner sa langue d’emprunt dans la belle province, décide de mener campagne, tambour battant, contre l’usage et l’épanouissement du créole qu’il désigne comme étant : « la langue de l’enfermement », enlevons nos Å“illères et suivez mon regard!

Qu’il ne trouve rien de mieux que de faire écho à cette superbe marquise, juchée sur sa banquise, romancière acclamée par une certaine critique et qui proclame en magister dixit que notre créole est une langue bâtarde, incapable d’exprimer le monde moderne sans recourir aux mots français, de grâce enlevons nos œillères et prions nos dieux tutélaires qu’ils viennent au secours de ces deux hurluberlus.

Le ridicule ne tue pas, mais peut causer des blessures dont les cicatrices se révéleront très difficiles à maquiller encore moins à faire disparaître.

Que nos politiciens soient incapables de se réunir afin d’élaborer une feuille de route susceptible de contribuer à la refondation de notre société, enlevons nos œillères et avouons que l’avenir ne s’annonce pas très prometteur.

Que nos intellos, analystes et excellents chercheurs ne parviennent pas à comprendre qu’il faille satisfaire les besoins primaires avant de passer aux secondaires et aux tertiaires. En d’autres termes, que toutes les énergies doivent être bandées en vue de créer des emplois, ce qui est la priorité des priorités à partir de quoi tout le reste deviendra possible, en l’occurrence: la santé, l’éducation, le progrès et la prospérité, inutile de vous répéter quoi faire et disons-le haut et fort, nous ne sommes pas très brillants.

Dans l’effervescence de leurs envolées oratoires, ils font incessamment référence à la France d’abord et pour cause, aux États-Unis, à l’Allemagne, à l’Angleterre ou au Canada, comme s’il y avait une quelconque commune mesure entre ces pays et le nôtre. Il ne faudrait surtout pas sous-estimer l’intelligence de ces éminents griots et mandarins autoproclamés en leur rappelant qu’on ne compare que ce qui est comparable.

Qu’un éminent économiste suggère d’augmenter la pression fiscale des contribuables haïtiens alors que soixante-dix (70%) pour cent de la population croupit dans un chômage endémique, aberrant et abject, enlevons nos œillères et disons à ce chicago-boy de continuer sans relâche, à bien jouir de son confort nord-américain.

Qu’un éminent comptable agréé, professeur d’université, flanqué de son alter égo, un brillant socio-économiste, laisse tomber avec une condescendance non feinte que la création d’emplois, c’est très bien mais, ce sera pour le futur, enlevons donc nos œillères et prions tous les dieux qu’ils éloignent de nous ce calice de douleur.

Qu’un grand « spécialiste en gouvernance », orateur de calibre majeur soutienne avec élégance que pour déconcentrer la capitale, il suffirait de construire des complexes administratifs dans toutes les grandes villes de la république et le tour sera joué. Ajustons nos œillères!