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LES MOTS, LES PENSÉES ET LA LANGUE

10-07-2018

LES MOTS, LES PENSÉES ET LA LANGUE

 

par Michel Frankland

Titre qui parait peu réjouissant ! On entrevoit des entrechats d’intellos dans les stratosphères de l’abstraction…

Il n’en est rien. Je vous sers un exemple concret. Suzanne, entretenant une relation amicale depuis quelques jours avec François, lui est très reconnaissante de l‘avoir dépannée, les roues avant bien ancrées dans la neige. Elle lui confie qu’elle aimerait une relation intime au lit pour le remercier.

François, mi-sérieux mi-taquin, lui signale que, formulée ainsi, sa proposition tient de la prostitution. Tu lui donnes une faveur, argent ou dépannage, et la prostituée donne sa récompense.

Suzanne est bouleversée. Elle va riposter, mais François l’interrompt. Il sait bien qu’elle n’est pas une prostituée. Mais elle veut faire l’amour avec lui. Comme cette demande vient normalement de l’homme, Suzanne ne sait pas comment lui dire qu’elle rêve de de cette union intime avec lui. Elle précise : « Tu es assez intelligent pour voir que mon attitude te crie par la tête que je suis amoureuse de toi ! » Oui, il avait bien compris. Il éprouve ces mêmes sentiments pour elle.

Mais, prof de philo, il voulait lui faire comprendre qu’il se produit une démarche complexe entre les mots que nous employons, et l’esprit qui émet ces termes. Plus nous utilisons des concepts qui s’écartent de ce que nous voulons transmettre, plus ils nous éloignent de notre véritable intention. La pensée constitue un système cohérent, émanation d’un soubassement parfaitement homogène et d’une logique aussi complexe que solide : la langue elle-même.

Si bien qu’en utilisant le code linguistique en tordant le sens de certains mots, il se crée en nous, entre la logique de la langue et l’illogisme de son emploi, une incohérence intérieure. Nous n’en sommes que rarement conscient puisque c’est par la langue elle-même que nous pouvons opérer une perception réflexe sur notre pensée. Nous sommes, pour ainsi dire, collés à la langue que nous employons.

Un autre volet de la relation bancale entre la langue et notre esprit consiste dans l’expression verbale qui manifeste un point de vue subjectif inconscient. Nous choquons donc des individus ou groupes sans percevoir que le choix mental des concepts est trafiqué par des valeurs personnelles, non universelles.

Du temps où l’indépendance constituait un enjeu chaud dans la société québécoise, divisant les familles et les communautés, le maire, libéral, d’une municipalité des Laurentides, se trouve en période électorale. Il veut plaire au considérable contingent d’indépendantistes dont il espère le vote. Il publie donc un message radiophonique par lequel il invite les séparatistes à se joindre à sa campagne. Il fut tout étonné de leurs réactions courroucées. Il avait utilisé un terme qui rayonnait de la perspective fédéraliste, et donc négative pour les tenants de l’indépendance.

Alors que dans le premier exemple, on a droit à une situation faussée, le dernier exemple constitue un problème terminologique. Mais dans les deux cas, il y a décalage inconscient