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LE MONDE EN ORBITE 3.2

21-06-2017

LE MONDE EN ORBITE 3.2

Par Michel Frankland

On perçoit immédiatement le problème. Le quotient intellectuel n’a pas pratiquement pas varié depuis Platon. Mais justement, notre époque, en quelques brèves décennies, exige que nous gérions énormément d’informations. Il y a donc une distance qui augmente à mesure entre notre capacité intellectuelle et celle requise par le monde contemporain. Nous nous trouvons donc progressivement mésadaptés.

Plus précisément, les gros quotients se sentent à l’aise dans cet univers grouillant d’informations à gérer. Mais les travailleurs manuels, à l’aise dans les usines d’autrefois, vivent maintenant dans une insécurité troublante. Les usines changent de pays, sont abolies parce qu’un pays asiatique fabrique le même produit nettement moins cher. Ou parce qu’on a inventé une façon plus économique de le fabriquer. Et dans certains cas, il devient obsolète. Plus fondamentalement, l’automatisation, inexorable, gagne constamment du terrain. On construit maintenant des automobiles qui, moyennant qu’on lui fournisse une adresse, s’y rend toute seule, sans besoin d’un chauffeur. Un coup dur pour les chauffeurs de taxi – sans parler d’Uber, pur produit du monde informatique… De même, on fabrique, une féroce concurrence le favorisant, des véhicules de plus en plus durables. Coup dur cette fois pour les mécaniciens et les garages. Ainsi de suite, pour tout ce qui se fait manuellement. Quelques bouquins ont détaillé ce désert progressif de l’emploi. La publication la plus connue est sans doute celle de Jeremy Rifkin, The End of Work.

Cependant, il vient de produire un autre best-seller, La Troisième Révolution. La lecture en est salutaire. Tout n’est pas perdu, explique l’auteur. Les rapports humains ne seront plus verticaux mais collatéraux. Les gens produiront de plus en plus, dans des serres maison ou de quartier, l’alimentation nécessaire. Ils l’échangeront entre eux, par troc ou autrement.

L’équation darwinienne demeure valide. Plus que jamais. Peu importe l’univers dans lequel nous vivrons de plus en plus, que ce soit celui de la première œuvre de Rifkin, ou sa seconde, plus optimiste, le marqueur général de la différentiation fonctionnelle entre humains consistera dans la capacité à assimiler l’information. Un illéttré, aujourd’hui, c’est une personne incapable de se servir d’un ordi. Et quand on pense qu’au Québec, il y a environ 23 % d’analphabètes fonctionnels, entendons de lecture alphabétique… Et d’ailleurs, seulement 14 % de nos concitoyens peuvent comprendre un éditorial…

Bref, l’intuition de Charles Darwin met en lumière le caractère endogène des résultats du vital. Ce n’est pas le milieu qui nous change, mais la qualité intrinsèque du vivant à s’adapter au milieu où il se trouve. Paradoxalement, ce pouvoir inhérent peut amener l’individu à changer de milieu – ce qui constitue aussi une façon de gérer l’information.

Deux applications infra-humaines nous intéressent particulièrement. Parlons d’abord de la maladie de la Vache Folle. On a réagi en tuant toutes les bêtes du troupeau où l’on a constaté cette affection. Je vous soumets qu’avec la même logique, on aurait dû tuer tous les villageois d’un hameau médiéval où l’on avait identifié des cas de peste noire, maladie qui a supprimé une partie appréciable de la population du Moyen Âge. Qu’est-il arrivé ? Darwin en fournit l’explication : la survie des plus forts. Les constitutions aptes à gérer cette information maligne ont survécu. Elles ont donc engendré des êtres à leur niveau (précisons cependant que c’est là matière à statistique : des êtres au sommet de la pyramide de survie engendreront à l’occasion des rejetons moyens, et exceptionnellement faibles. Mais le produit statistique demeure génétiquement excellent). La réponse à l’incidence mortifère de la vache folle sentait la panique. La suppression du troupeau entier est une aberration pour Darwin. Darwin répond avec le bon sens subséquent à ses recherches : laisser mourir celles qui doivent mourir. Les quelques-unes qui survivront mettront bas des veaux et des taures statistiquement immunisés comme elles.

La deuxième application porte sur les virus et bactéries. En fait, pratiquement exclusivement sur les bactéries, puisque c’est elles qui inquiètent le monde médical. Les médecins sont alarmés par l’augmentation progressive des bactéries. L’explication darwinienne : dans la population bactérienne attaquée par un antibiotique supprime presque toutes les bactéries… sauf celles, peu nombreuses vraisemblablement, d’une constitution quelque peu déviante de l’ensemble. Elles survivent donc. Et elles se multiplient, transmettant leur ADQ vainqueur des pénicillines de tout acabit qu’on lance à leur trousse.

Je signale en ce sens la création des « phages » par des médecins géorgiens. Les phages suppriment toutes les bactéries. L’Occident s’est intéressé à ce phénomène original et créateur… Mais l’intérêt est tombé. Trop efficace, l’invention géorgienne ne créait pas assez de profit. Sordide !

Dans le même esprit, Hyman, dans Eat Fat Get Thin, signale que la majorité des industries alimentaires font rôtir leurs produits (lorsque la matière créée s’y prête) afin qu’ils durent assez longtemps pour être exportables partout sur la planète tout en conservant leur « fraicheur ». Bien qu’ils sachent parfaitement que ce processus nuit à la santé des clients. Pour la même raison, ils mettent autant de sucre qu’ils peuvent sans effrayer le public. Le suc, c’est dans les gènes, rappellerait Darwin, est aussi addictif que la cocaïne. Il cause cancer, diabète et malaise cardiaque. Pas grave, ça fait vendre la recette !…

Ainsi, tel qu’annoncé en 3.1, la quatrième partie portera sur l’utilisation de la surenchère d’information dans laquelle nous baignons – et il y a des noyade…– par les commerces et la politique, en regard de la double réaction populaire.