Montréal

Nouvelles

Qui a peur de Virginia M-Pesa ?

16-06-2016

Qui a peur de Virginia M-Pesa ?

 par Michel Frankland

Qui a peur de Virginia Woolf ? Vous vous souvenez de ce titre bien connu de plusieurs lecteurs. Présentée sur Broadway en 1962, cette pièce de Albee, signifie, ses commentaires en témoignent : « Qui a peur de vivre sans illusions ? »

 

Le sigle M-Pesa, ou M pour mobile, et Pesa pour l’argent en Swahili, est un système qui remplace avantageusement les transactions bancaires usuelles. Le système a d’abord été créé au Kenya en 2007. En 2012, plus de 17 millions de Kenyans l’employaient. Il a émigré en Tanzanie, aux Indes, en Afghanistan. Il est même en train de se propager en Europe. D’abord en Roumanie en 2014. Puis, en Albanie en 2015. Le système fonctionne donc non seulement dans des organisations économiques rudimentaires, mais également dans des pays occidentaux.

 

Des transactions commerciales de toutes sortes se font à l’aide d’un téléphone cellulaire. Plusieurs de nos contemporains en possèdent un. Mais la fabrication de ce bidule aux seules fins commerciales et financières coute fort peu. Les moyens financiers des Kényans commandaient un cellulaire très peu couteux, réduit à sa plus simple expression. Sa fabrication en masse en rend l’achat tout à fait abordable par pratiquement tout le monde.

 

Les opérations sur ce bidule sont les suivantes : on peut y déposer de l’argent, en retirer, en transférer et payer des comptes. Les frais de taxi, l’achat de fruits au magasin du coin. Le coiffeur, etc. Bref, les opérations bancaires usuelles et beaucoup plus : les activités financières de tous les jours. Vous servez-vous d’une carte de crédit pour acheter des légumes chez le marchand du coin ? Avec M-Pesa, ça se fait rapidement. Pour les fois où vous n’avez pas de comptant sur vous.

 

Ces opérations ont lieu par l’entremise d’un grand nombre d’agents locaux. Typiquement, c’est le petit commerçant du coin, une pharmacie, etc. Les gens y trouvent de multiples avantages. Les transactions se font par cellulaire, mais enregistrées via l’agent local. Et non pas comme auparavant, par transport d’argent liquide. Ainsi, les vols que cette pratique occasionnait sont pratiquement disparus. Ils n’ont pas non plus à marcher de longues distances pour régler certaines transactions plus compliquées. Ils sont rendus chez l’agent, un voisin de quartier, dans le temps de le dire. Enfin, les légers coûts des transactions sont répartis dans la population via les agents locaux. C’est à l’évidence un système plus équitable.

 

Mais qui possède ce système ? Safaricom, une entreprise kényane fondée en 1997, s’est associée à Vodaphone, institution britannique spécialisée en communication. Vodaphone a racheté 40 % des parts de Safaricom, mais gère l’entreprise. En somme, un système de transactions financières INDÉPENDANTE DU SYSTÈME BANCAIRE.

 

Vous vous imaginez l’inquiétude des banques ! Constatant la croissance phénoménale de M-Pesa et son implantation graduelle dans d’autres pays, un groupe de banques décida d’agir. Elles firent pression auprès du gouvernement kényan pour obtenir la permission d’une vérification comptable de M-Pesa. Leur but semblait bien d’établir la fragilité de ce système. À tout le moins, de le ralentir. Mal leur en prit. Leur analyse financière concluait à la robustesse de M-Pesa !

 

D’accord, conclut le groupe bancaire. Mais il demeure que les transactions de M-Pesa, souffrent d’une carence d’identité des citoyens opérant une transaction financière. Pas de problème, rétorque le gouvernement kényan. Dans un court délai, les kényans reçurent une carte d’identité, en commençant par les nombreux agents locaux de M-pesa.

 

Les banques ont raison d’être inquiètes. Inquiètes, c’est-à-dire non-quiètes, ancien terme qui exprimait l’absence de soucis. L’anglais « quiet » provient de la même source, via l’origine latine commune (quietus, tranquille, en paix). Les banques filaient le parfait bonheur. Leur truc, faire de l’argent avec l’argent des autres (prêtant à des rendements nettement supérieurs les sommes que les citoyens placent dans les succursales bancaires). Voilà que leur patente se trouve mis en danger. Un système beaucoup plus proche des besoins financiers de la population se développe comme un feu de forêt. Pire, ce sont de pauvres péquins, non des gens diplômés, qui constituent l’intermédiaire des transactions financières ! A-t-on idée d’une pareille débauche financière ! Loin des institutions officielles ! Shocking !

 

On n’a pas encore saisi l’étendue indéfiniment créatrice de l’informatique. Nous en avons ici un cas patent. La leçon de la robustesse du système M-Pesa, sa propagation dans plusieurs pays, dont des contrées européennes, tient en ceci : LES BANQUES NE SONT PLUS NÉCESSAIRES.

 

Le roi bancaire était nu ! Un pays du tiers monde, analogué de l’enfant de la légende, a non seulement révélé la nudité du roi. Il a montré comment créer des habits de qualité peu dispendieux.

 

Qui a peur de Virginia M-pesa ? Les banques !