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PERSPECTIVE GÉNÉTIQUE 1

05-01-2016

PERSPECTIVE GÉNÉTIQUE 1

 

 par Michel Frankland

 

Mon grand-père avait coutume de dire : «La vie est étonnamment brève. Dans mon souvenir, elle se ramasse aujourd’hui sur elle-même si serrée que je comprends à peine qu’un jeune puisse se décider à partir à cheval pour le plus proche village sans craindre que, tout accident écarté, une existence ordinaire et se déroulant sans heurts ne suffise pas, de bien loin, même pour cette promenade.»

 Kafka, La métamorphose, chap. 10

 

Introduction

 

La vie est effectivement complexe. Elle ressemble à la complexité de l’univers. On «prouvait» en toute connaissance de la physique, que, dans un certain temps, l’univers se replierait sur lui-même. Or, les télescopes géants nouvellement construits il y a quelques années, ont laissé les physiciens pantois. Contre toutes les lois de la physique, l’univers continuait son expansion. Il fallait donc supposer une matière noire1, invisible à l’œil pas plus qu’au télescope, qui changeait la donne et créait des interférences sur la gravitation telle que nous l’avions, avec assurance et depuis des siècles, constatée et définie.

 

Ainsi, les civilisations, confrontées à la complexité inhérente aux manifestations diverses du mystère dans lequel nous baignons, en ont régulièrement exprimé des lectures réduites. Il fallait aussi offrir au bon peuple une vision suffisamment simple qui puisse le rassurer. Les dirigeants également y trouvaient leur compte. Les passionnés du pouvoir ne sont que rarement équipés en ces vertus de l’intelligence plus orchestrées chez les philosophes et les poètes.

 

Ces conceptions simplifiées rappellent les matchs de lutte, avec ses bons et ses méchants. Ainsi, l’adversaire, qu’il soit un peuple dominant dont nous faisons partie de l’empire, ou un ennemi des valeurs reliées aux diktats en vogue, se trouve diabolisé. Des ukases divers s’y trouvent rattachés. L’individu ou le groupe qui pactiserait avec «l’autre» est condamné d’avance.

 

Certaines des exclusions qui en découlent sont parfaitement justifiées. Les collabos français du régime nazi ont subi les peines de prison qu’ils méritaient. On rasait en public la tête aux collaboratrices «plus intimes». D’autres destitutions répugnent. Ainsi, l’Islam exerce une rétribution, souvent mortelle, contre les musulmans qui changent de religion. Ou Polpot qui alignait les crânes d’intellectuels.

 

Le peuple, par les joutes sportives, manifeste spontanément, et universellement, tous pays et azimuts confondus, un parti-pris aussi bruyant qu’injuste en faveur de l’équipe locale. Ce trait collectif n’échappe à personne.

 

Le complexe «Galilée» pousse à un degré nettement plus prononcé l’esprit de clocher. Rappelons l’essentiel, pour les personnes dont les notions historiques seraient un peu rouillées. Galilée (1564-1642), astronome italien, constate que l’héliocentrisme a raison par rapport au géocentrisme. Ce n’est pas le soleil qui tourne autour de la terre ; la terre est au contraire un satellite du soleil.

 

Il se trouve ainsi en butte à une réalité fondamentale, génératrice des plus persistantes agressions, soit ce qu’on pourrait définir comme «la grammaire collective de l’essentiel». Je me réfère ici à ces convictions au cœur même d’une culture, convictions dont le rejet vous identifie comme un ennemi juré de la communauté. La terre était évidemment le centre de l’univers puisque Dieu y avait créé la race humaine, y était né de la Vierge Marie, était mort et ressuscité sur la planète. Galilée s’attaquait à cette zone de confort collectif. Il privait ainsi de paix une collectivité facilement inquiète devant les changements de fond entre la conception médiévale et la nouvelle conception renaissante, laquelle chamboulait une société déjà ébranlée.

 

D’autant plus que Copernic, astronome polonais (1473-1543) avait déjà choqué par sa théorie établissant l’héliocentrisme. Or, il est publié, la même année que sa mort, par un éditeur allemand protestant. Mais c’était là un étranger à l’Italie, cœur même de la chrétienté et en relation avec des éditeurs protestants. Donc, doublement étranger. Que les autres publient des folies, c’était après tout leurs affaires.

 

Mais Galilée crée la sédition de la pensée au centre même de la catholicité ! Non seulement est-on assuré qu’il est dans l’erreur mais il fait figure de traitre. Il est mûr pour le bûcher. Pourtant, le pape Urbain VIII, admirateur de Galilée, lui avait proposé un compromis : il présenterait sa théorie comme une simple hypothèse et inviterait les géo-centristes à présenter leurs arguments contraires. C’était un compromis dont l’histoire nous apprend qu’il avait fort peu d’adeptes. On l’acceptait parce que de source papale. Mais Galilée passe outre. Il publie haut et fort sa théorie hélio-centriste, agacé par ces têtes calcifiées qui ne comprennent pas encore.

 

Mal lui en prit. Il va passer au bûcher ! Il comprend enfin : il doit se repentir officiellement et affirmer la nullité de ses assertions hélico-centristes. On peut parier que Galilée s’en fichait un peu. Ses écrits resteraient, et sûrement que les générations futures comprendraient le bien-fondé de sa théorie.

 

1 L’anglais m’apparait plus juste en parlant de «dark matter».