Montréal

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« L’année du changement »

18-08-2015

« L’année du changement »

Par Me Serge H. Moïse av.Barreau de P-au-P.

Nous en parlons depuis des lustres de ces changements à partir desquels le pays doit renaître, nous en parlons tellement et depuis si longtemps que de nos jours, personne n’y croit.

Les besoins sont si urgents, nombreux et complexes qu’on a l’impression qu’ils sont devenus insurmontables et que nous sommes condamnés au sous-développement et à la misère pour le reste de nos jours.

Nombreux sont les filles et fils du pays qui, de guerre lasse, ont fini par baisser les bras, se disant qu’après plus de deux cent onze ans d’indépendance, il n’est pas logique qu’on en soit à ce stade que tout le monde déplore. Recul sur toute la ligne et dans tous les domaines.

Les rescapés de l’analphabétisme, une fois parvenus au pouvoir ont délibérément négligé, sinon détérioré le système éducatif haïtien, histoire de conserver leurs privilèges dus à leur scolarisation et éliminer toute compétition qui viendrait du plus grand nombre. Il ne s’agit pas d’un accident de parcours mais d’un choix politique délibéré.

Et aujourd’hui on fait de l’éducation, comme de notre pauvreté un prétexte de plus pour quémander des miettes ici et là, sachant fort bien que le développement durable ne peut venir d’ailleurs, et pour répéter encore une fois le docteur Volvick Rémy Joseph : « Le développement d’Haïti sera endogène ou ne sera pas. »

Il nous a fallu trois siècles après le débarquement des premiers Bossales à Hispaniola pour parvenir à réaliser notre indépendance et encore, peu ou prou sur le plan politique. Il n’est pas dit qu’il faudra attendre aussi longtemps pour que nous décidions enfin de prendre notre destin en main. Personne ne le fera à notre place, les couches saines de la nation le savent, la communauté internationale nous le rappelle régulièrement, toutes les conditions objectives de cette prise en main sont à toutes fins pratiques réunies. Il ne nous manque que la ferme volonté de vivre ensemble en tenant compte des intérêts de toutes les composantes sociales.

Nous sommes donc condamnés à cultiver ce vivre-ensemble dans la fraternité, la convivialité et la solidarité. L’indifférence l’égoïsme, l’individualisme sont à bannir à tout jamais de notre paysage. Par nos façons de faire qui autorisent n’importe quel blanc-bec à nous traiter d’incapables, de corrompus génétiques, nous projetons une image d’une laideur déshumanisante.

Nous avons eu notre quota de déboires, nous en avons ras le bol et nous en sommes les premiers responsables. D’autres ont su profiter de nos faiblesses, il n’y a rien de plus normal car, le général de Gaulle l’a dit à qui voulait l’entendre : « Les puissances n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts ».

Nous ne pouvons nous permettre aucun recul, un pas de plus dans la mauvaise direction et c’en est fait de nous, la faillite devient totale, l’explosion sociale aux conséquences imprévisibles et néfastes s’avère inévitable. Ceux qui prétendent qu’un peuple ne meurt pas, connaissent mal l’histoire de l’humanité. Point n’est besoin de chercher midi à quatorze heures, la disparition des Arawaks, des Aztèques, des Incas et des Taïnos qui peuplaient notre île à l’arrivée de Colomb en est une preuve qui devrait nous interpeller et nous ramener à la réalité des faits.

Déjà en mil huit cent quatre-vingt treize (1893) Frederick Douglas, ancien représentant américain au pays, nous mettait en garde contre nos propres pulsions morbides. Anténor Firmin, que nous vénérons tous, même sur sa terre d’exil à l’île St-Thomas n’a eu de cesse de nous exhorter à plus de transcendance et d’unité dans la perspective des intérêts supérieurs de la nation.

Dans notre jargon juridique nous répétons constamment que : « Les défaites du droit sont toujours éphémères » Serions-nous l’exception qui confirme la règle? Génération après génération, nous commettons les mêmes erreurs, avec les mêmes conséquences et nous avons persévéré dans la même veine suicidaire jusqu’à aujourd’hui. L’espoir d’un changement réel demeure encore aléatoire s’il faut tenir compte des récents atermoiements entre le législatif et l’exécutif pour former un gouvernement devant s’attaquer aux urgences de l’heure et jeter les bases de la refondation et de la reconstruction du pays.

Le séisme du douze janvier deux mille dix (2010) et les élections du vingt-huit novembre de la même année, les quatres dernières années de laxisme et de gabegie à outrance devraient suffire à insuffler à chaque fille et fils du pays assez d’énergie et de courage pour que deux mille onze (2015) soit plus que jamais l’année du changement, car plus tard, sera certainement trop tard.