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Focusing 3

16-07-2015

Focusing 3

 

 

 

 

Par Michel Frankland 

Dans ce troisième article, nous verrons ensemble le rôle de la pensée rationnelle dans la démarche du focusing. Et spécifiquement le rôle du thérapeute.

 

À l’évidence, une thérapie qui laisserait à la raison un rôle trivial nous apparaitrait à bon droit suspecte. Ce qu’affirme le focusing à ce sujet, c’est que le raisonnement doit venir à sa place, après le cheminement intuitif dans les anfractuosités de l’inconscient. Comme la démarche de focusing se produira plusieurs fois – des centaines de fois dans une longue thérapie, précise Gendlin –, il y faut chaque fois, en bout de piste, un acte conscient de discernement. D’ailleurs, les deux derniers mouvements, les cinquième et sixième , la demande et la réception, doit être compris dans cette optique comme une amorce rationnelle. Ce qui appelle des précisions sur la fonction du thérapeute en focusing.

Gendlin revient quelquefois sur le respect nécessaire au psy. Quand on pratique le focusing sur soi-même, on doit bien prendre garde de ne pas faire interférer la démarche par une analyse rationnelle. Il est tentant mais néfaste d’appliquer son système de défense habituel sur les heurts subis au cours de notre vie. La réaction la plus fréquente consiste en effet à plaquer sans nuances, voire de façon simpliste et fausse, une explication «logique» sur un traumatisme. Entre autres raisons parce qu’il est vécu dans l’angoisse. Le stress nous amène à parer au plus pressé, dans un arrangement mental souvent boiteux et inexact. Il convient donc de refaire le cheminement pour retrouver la source du problème. Ce qui implique de mettre de côté, temporairement, la démarche rationnelle. C’est ce même respect exigé du thérapeute dans le focusing.

 

 

Le thérapeute doit accompagner le client dans son processus de guérison, non lui fournir une autre couverture rationnelle, nouveau cataplasme que le sujet ne peut être prêt à recevoir s’il n’est pas encore en mesure de recommuniquer avec la source anxiogène. C’est en ce sens que Carl Rogers table sur l’empathie et l’accueil chaleureux, positif et inconditionnel. Dans On Becoming a Person, il écrit : « La vie est, au mieux, un processus fluide et changeant en lequel rien n’est fixé. » Voilà qui s’arrime parfaitement avec le focusing.

Ce caractère fluide du sujet, au double sens d’une transformation constante et de sa nature infiniment unique et personnelle, au fond insaisissable1, se trouve intimement lié à la créativité. C’est pourquoi les psys, surtout lorsqu’ils traitent des enfants traumatisés, emploieront souvent la peinture. «Dessine-moi ton papa et ta maman.» Plus généralement, l’art joue un rôle libérateur des blessures du passé. La musique en particulier constitue une voie royale en ce sens. Combien de conflits meurtriers générerait notre humanité si elle était privée de ses chansonniers et groupes favoris !

Mais rappelons-le, l’expression artistique, tout comme le cheminement du focusing, doit précéder l’éclairage rationnel. Car l’art possède son propre langage. «It may be true that the musician needs something to compose about, just as the poets needs something to write about, but what he composes is just music2 ». Gendlin et Rogers, même attitude de respect créateur.

Il s’avère opportun de comprendre le rôle du thérapeute dans le contexte du monde contemporain, marquée par la surenchère d’information, où le moi s’égare facilement. Un proverbe bantoue le rappelle à sa façon : «Il faut bien prendre garde de connaitre plus de choses qu’on en peut aimer.» Gare aux nombreux «bruits» qui nous éloignent des droits et responsabilités que nous nous devons à nous-mêmes. La créativité doit être située en ce sens. Elle n’est pas un ensemble de tapages, de «heavy metal» assourdissants.

 

 

L’attitude du psy en est d’abord une d’écoute, de respect dans la démarche commune avec le client. Fidélité à son caractère unique et créateur. Mais également respect de sa propre compétence, à la fois professionnelle et humaine, à intervenir. D’abord fort peu et discrètement («ce que j’entends de toi, c’est la colère devant l’injustice que tu as subie. C’est bien ça ?». Puis, une fois l’abcès crevé et reconnu comme tel à travers un cheminement respectueux, un dialogue attentif entre deux adultes qui échangent.

 

Nous continuerons à explorer les tenants et aboutissants du focusing dans un quatrième article.

 

1 «Je est un autre», songe génialement Rimbaud. Le fondement de toute expérience religieuse authentique évoque la nature évanescente de la personne.

2 Dom Iltid Thretowan, The Desolation of Aestitics. Cité de mémoire.