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Les beaux bébés phoques

04-05-2015

Les beaux bébés phoques

par Michel Franklad 

Les artistes éplorés devant les mignons bébés phoques, vous les avez surement vus à télé. Le visage romantiquement vengeur, la conscience grave qu’on touche impunément à la sainte nature, c’en était trop. Il fallait donner l’exemple. Se faire photographier proche des bébés phoques. «Nous, héros de téléromans, nous allons leur montrer notre conscience sociale. Notre talent intuitif si près des choses de la vie !»

 

«Pendant ce temps, c’est vrai qu’il y a des guerres. On voit à la télé des civiles se faire massacrer. Mais nous ne sommes pas des soldats. Nous sommes des artistes. La nature, c’est notre mère – MOTHER EARTH !»…

 

Pendant ce temps, la guerre en Syrie dépasse les 200 000 morts. L’Irak n’est pas en reste : 1 million de morts ! L’Afrique tenue en tenailles par les terroristes et l’ebola, n’arrive plus à compter ses centaines de milliers de morts.

 

Tellement d’enfants meurent de malnutrition sur la planète. 808 millions d’enfants souffrent de malnutrition. Environ autant d’enfants meurent de faim chaque année que l’équivalent de la population du Québec. Chaque jour, plus de 10 000 enfants meurent de faim. Et l’indice de la faim dans le monde a augmenté de 63 % depuis 1990.

 

«Mais nous sommes des stars. Nous sommes stimulés par l’intensité des situations, surtout lorsqu’elles sont touchantes ! Au fond, les rues jonchées de morts, nous les regrettons… mais les bébés phoques, la candeur même, voilà qui nous rend meilleurs ! Il n’y a pas de poésie à fixer son esprit sur les cadavres qu’on empile. Rien de valable à contempler la laideur ! Nous voulons rendre le monde plus enthousiaste. Stimuler la beauté primitive. Et on la massacre. Voilà le véritable crime. La journée où les populations du globe seront vraiment heurtées par la disparition annuelle des nombreuses populations animales, il n’y aura plus de guerres, plus de rues jonchées de bras arrachés et de trainées de sang ! Loin de nous la fixation morbide sur les désastres provoqués par les guerres»…

 

Chaque année, 800 000 personnes se suicident dans le monde. Cette tragédie bouleverse des millions de parents et amis des suicidés. Chez les 15-29, c’est la deuxième cause de mortalité.

 

Les troubles mentaux affectent 450 millions de personnes dans le monde, d’après l’Organisation mondiale de la santé, et 20 % de la population est amenée à en souffrir un jour. Pourtant, les systèmes de santé sont loin de prendre suffisamment en charge les malades.

 

Un Québécois sur cinq sera touché de près ou de loin par la maladie mentale au cours de sa vie. À Montréal, on parle de 2% de la population adulte qui souffre de troubles graves et de longue durée et de 29% qui seront aux prises avec une dépression majeure ou des troubles anxieux ou encore des troubles liés à l’usage de drogues ou d’alcool.

 

Alors, les fans attendris des bébés phoques, symbole de la beauté de la nature, n’avez pas de compassion pour les morues ? La morue qu’on remonte, accrochée à l’hameçon, souffre mille fois plus que le bébé phoque qu’un coup de gourdin tétanise instantanément…«Mais, dites-vous, la morue n’est pas belle, alors que le bébé phoque est si mignon !» Quel argument profond ! Vous êtes les penseurs de la planète…

 

Saisissez-vous le lien entre cette déviation «bébé phoque» vers le superficiel et la tolérance hallucinante envers les têtes brulées cachées derrière leur masque qui bouleversent les cours à l’UQAM ? Les âmes plus fragiles se noient dans la surenchère d’informations et y perdent leur vigueur originelle. Il s’ensuit un refuge dans l’indéfini, qui rejette à la fois les tragédies qui ravagent multiplement nos civilisations et qui nous fait dévaler vers l’impuissance ou la majoration dramatiquement excessive du charme de certains animaux… le complexe bébé phoque !