Montréal

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Le corps

22-03-2015

Le corps

par Michel Frankland 

Le corps est l’incarnation des vérités les plus profondes en nous. Les paroles peuvent être mensongères ; le corps ne ment pas. Les psychologues constatent qu’en un instant, nous lisons, et dans la très grande majorité des cas pertinemment, le corps de l’autre. Nous savons d’instinct, sans y mette les mots, à un niveau viscéral, la nature profonde de l’autre.

 

Victor Hugo écrit : «La forme, c’est le fond rendu sensible.» Le corps, forme visible, inéluctable, de la vérité. Le détecteur à mensonge parfait. Le corps, c’est l’âme dévoilée.

 

Le corps, comme une sténo qui enregistre tout ce qui se dit en cour, a retenu tous nos enthousiasmes, notre bonté du cœur, nos mensonges, à nous-mêmes et aux autres. Nos angoisses, nos peurs, nos élans nobles pour les bonnes causes. Nos traumatismes, physiques, psychiques ou moraux. Et nos stratégies pour leur trouver des solutions.

 

On doit donc écouter les messages de son corps, ce bon bougre qui nous accompagne comme un chien fidèle. Que lui révèle cette bonne bête sur son degré d’authenticité ?

 

Et, plus concrètement, que lui rapporte-t-il de son menu quotidien ? Qu’est-ce qui affecte de travers son énergie ? Quels aliments la renforcent et régularise son fluide vital ?

 

Les civilisations, à mesure qu’elles deviennent plus littéraires, perdent une part de cette antique sagesse. On verse alors souvent dans l’illusion que les mots peuvent remplacer les sentiments. On aime croire que d’avoir bien formulé le problème le règle passablement. La preuve que cela est faux, c’est que ça s’avère un peu vrai. Mais par l’acte même par lequel on nomme ce qui fait mal, on se satisfait souvent de cette conscience mieux éclairée. Mais on est à pied d’œuvre au lieu d’être arrivé. On a identifié, sur notre géographie intérieure où se terre l’écorchure, mais tissée d’émotions, elle reste entière à nous miner notre vitalité.

 

Dans notre monde, la publicité nous susurre multiplement l’importance du confort, facilement identifié avec l’absence d’effort. Car une personne trop lucide devient plus perspicace, et donc une proie moins facile pour les commerçant qui nous bercent.

 

Le corps, chemin vers notre légitimité intérieure, en ce qu’il nous amène à redécouvrir ces boules serrées qui renferment ce qui nous a heurtés. Cela suppose un effort dont les huiles de ce monde payent les publicitaires pour que nous nous souriions béatement comme ces sourires plastiques des annonces.

 

En écrivant ceci, il m’est venu un souvenir de lecture. Un psy qui urge ses clients à redécouvrir qui ils sont vraiment. Dans Le cri primal, Janov exige de ses clients qu’ils vivent seuls pendant quelques jours dans une pièce nue, sans gadgets électroniques, sans journaux. Son postulat, on le saisit surement, consiste en ce que, pour reprendre la réflexion de Pascal, «nous sommes pleins de choses qui nous jettent à l’extérieur de nous-mêmes.»

Libéré de ce qui nous jette à l’extérieur de soi, le cri primal se produit. Le client communique avec ses vraies mottons de douleur.

 

D’autres psy, à bon droit, je crois, ont dégagé les excès de Janov. Entre autres, parce qu’il y a aussi dans notre champ intérieur, des labours bienfaisants, qui, intimement visités, suscitent en nous des larmes de bonheur. Et simplement, il n’est pas sain de vouloir, in vitro, reprendre à fond pendant quelques heures de traitement-choc tous les secrets de sa vie. Bref, l’erreur de Janov a consisté à ne pas respecter le temps.

 

Sous ce rapport, le corps, si on développe la sagesse de lui parler avec amitié et respect, nous livrera, selon un horaire organique, les tempêtes et les soleils qui y sont enfouis. Le corps s’avère naturellement pédagogue. Il connait instinctivement le rythme d’investigation approprié. Le corps est un spécialiste du temps. Le corps est un génie du temps.

 

Le proverbe bantoue frappe dans le mille : «Il faut bien prendre garde de connaître plus de choses qu’on en peut aimer.» Mais, dans la Cité électronique, nous sombrons dans une surenchère de mots de toutes sortes. Nous dérivons en orbite loin de la sagesse indispensable du corps.