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Le temps électronique de la mondialisation

01-11-2014

Le temps électronique de la mondialisation – les profits faramineux à la vitesse de l’éclair

             Par Michel Frankland            

 

J’avais laissé les diverses conceptions du temps dans les langues pour présenter deux articles sur des caractéristiques de l’âme québécoise en regard de la mort de Raymond Gravel.

 

J’y reviens maintenant. Un bref résumé des quatre articles sur le temps et les langues. Le français et les langues anglo-saxonnes n’ont pas la même relation au temps. Le français s’installe dans le présent et considère le temps révolu d’une part et celui à venir d’autre part comme la structure de base de temps. Passé, présent, futur.

 

On s’imagine tenir du bon sens que toute langue fonde sa chronologie sur cette division tripartite. Faux. Les langues anglo-saxonnes divisent le temps en deux catégories, le passé et le non-passé. Le présent-futur forme alors un continuum. Ainsi, l’anglais doit recourir à un verbe de volonté pour se patenter un futur : I will go ; l’allemand, par un verbe de devenir : Ich werde gehen, soit, littéralement, je suis en devenir d’aller. Nous avons considéré ensemble les valeurs et limites de chacune de ces conceptions. Je vous réfère aux articles conservés sur Le Carrefour des opinions.

 

Le temps moderne, c’est celui de l’électronique. Du temps littéralement rapide comme l’éclair. Et qu’arrive-t-il lorsque des humains utilisent à mauvais escient ce temps-éclair ?

Le hacker qui voudrait s’essayer sur le clavier pour découvrir le mot de passe d’un site en aurait souvent pour un siècle. Mais de quelques minutes souvent s’il dispose d’un bidule électronique, assez facilement disponible, me dit un expert, pour faire défiler des milliards de possibilités de mots de passe…

 

Mais c’est là, pour prendre une expression québécoise, de la «p’tite bière». Le fait que mon site de bridge ait été temporairement sur un hébergement infecté par un troyen constitue un embarras qui ne mettra pas à mal l’humanité. Il en va autrement de l’utilisation qu’en font des courtiers.

Écoutons un courtier respecté, Jean-Pierre Béguelin, devenu analyse économiste.

 

Pour gagner, un courtier, ou plutôt son programme, doit maintenant être le premier à traiter, donc le plus rapide à réagir, d’où l’avantage à l’algorithme le plus souple et au matériel le plus performant. Une course s’est alors engagée entre les différents acteurs au point que la distance physique à l’ordinateur central a commencé à jouer son rôle pour désigner le vainqueur. Afin d’éviter des conflits sans fin, les bourses ont alors décidé d’uniformiser le temps d’accès à l’ordinateur central – 37 millionièmes de seconde actuellement à Londres – pour ceux de leurs membres prêts à payer ce privilège.

Fort bien, concluez-vous. C’est rapide comme un flash, mais c’est égal entre les courtiers. Encore que vous vous dites, avec raison, que le prix doit être à ce point élevé que seulement les plus gros joueurs peuvent se le payer.

Mais le problème s’avère beaucoup plus grave dans les conséquences indirectes. Je vous amène à la notion de dark pool.

 

Premier problème, la bourse, dans sa programmation-année-lumière, devance le temps plus humains des transactions commerciales. Ainsi, les gérants des entreprises à actions ne sont plus de taille à maitriser les échanges électroniques qui touchent intimement leur commerce. D’où des faillites, à la fois pour ces raisons électroniques et à cause du manque de confiance des actionnaires devant cet apprenti-sorcier- docteur-Strange-Love parti en orbite.

 

D’où le dark pool. Béguelin explique : «Ces incertitudes et ces complications contribuent sans doute à pousser de nombreux placeurs vers des plateformes d’échanges moins officielles.» Lesquelles ? Celles des petites transactions qu’elles traitent à meilleur marché par simple compensation. Mais attention ! Car

Il y a celles, comme CHI-X ou d’autres, qui ne font en apparence que concurrencer les bourses ayant pignon sur rue, mais qui opèrent avec une plus grande discrétion, d’où leur surnom de dark pools. Ces plateformes s’adressent avant tout aux ordres d’achat ou de vente des gros paquets d’actions qui auraient dû être fractionnés s’ils avaient été traités sur un marché électronique standard. Leur traitement facile et discret des ordres massifs plaît souvent à de grands investisseurs institutionnels voulant éviter que leur moindre action ne soit scrutée, copiée ou critiquée par leurs concurrents.

La conclusion s’impose. On se crée une niche secrète dont justement la rapidité permet d’éviter les contrôleurs boursiers, occupés à gérer le trafic électronique régulier. Ainsi, un fricoteur de la haute vitesse pourrait conclure – j’invente sa réflexion : «Dark pools are like dark matter. You can see neither. But dealing through them is so much more efficient !»

 

Bref, les marchés s’atomisent au point d’échapper pratiquement, à tout le moins statistiquement, aux contrôleurs boursiers.

 

Et quelle langue parlent ces nouveaux sorciers ? Celle réduite aux seuls chiffres. En somme, ils sont condamnés à l’analphabétisme des nouveaux Tsars de la mondialisation. Ils ont tout… mais rien d’autre…