Montréal

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Wikileaks ou la menace des purs

29-12-2010

Wikileaks ou la menace des purs (deuxième partie)

Par Michel Frankland

 

Mais tout n’est pas blanc ou noir dans la vie. Il m’apparaît que l’option prise par cet Australien recèle nettement plus de mauvais effets que de bons.

Les êtres humains sont fragiles. Vantards, inconstants, souvent susceptibles. Il en va de même des civilisations et des us et coutumes des groupes ethniques. Ajoutons à cela les perceptions différentes d’une civilisation à l’autre, d’un peuple à l’autre. Du temps ou j’étais animateur à Radio Ville-Marie, j’avais interviewé un fonctionnaire oeuvrant au fédéral comme intermédiaire avec plusieurs pays. Une espèce d’ambassadeur à la pièce. Or, les surprises désagréables éprouvées dans ses contacts avec des administrations étrangères furent nombreuses. Il se présentait avec son équipe auprès d’un dignitaire étranger et lui faisait une proposition absolument gentille. Mais non ! L’autre était insulté. Dans sa culture, ce qui semblait une valeur universelle à mon invité était perçue dans l’autre pays comme arrogance et mépris. «Ainsi, avait conclu mon invité, j’ai été au cours de ma carrière, souvent interloqué par des réactions de ce type.»

Plaçons-nous dans le contexte des révélations de Wikileaks. Au lieu d’une courtoisie qui se trouve mal perçue dans l’autre pays, on révèle ici bien pire et donc beaucoup plus dommageable :  des travers de ses dirigeants. Des traits de caractère peu flatteurs, des entorses souvent graves à la justice universelle qu’ils se sont permises. Surtout si ce sont des dictateurs, dont le moi enflé fait partie inhérente de ces tristes personnages.

Il y a de quoi, on le comprend vite, saboter des relations patiemment tissées au fil des années. Le propre de la diplomatie consiste à s’arranger pour  dire aux gens ce qu’ils sont aptes à comprendre, et aussi à renseigner son propre pays sur les huiles en place dans les autres pays. Car les êtres humains ne sont pas mus par des idées ; ils sont mus, influencés,  par des personnes. C’est pourquoi une des fonction importante des diplomates, c’est de bien décrire les têtes de pipe en place. C’est ce que Hilary Clinton a demandé à ses ambassadeurs. Et je n’en reviens pas que plusieurs se disent scandalisés de la cueillette de tels renseignements. C’est ce que font tous les pays. Soyons sûrs que les gouvernements ont des filières entières sur les chefs d’état étrangers. Sur leurs habitudes de vie. Sur ce qui les réjouit ou les met en furie. Sur leurs qualités et les défauts qui les rendent vulnérables. Rien de plus normal, d’entendu. Depuis que le monde est monde.

Car il est nécessaire, dans les relations humaines, qu’elles soit entre personnes ou entre États, d’établir une distinction significative entre la liberté de presse et la liberté de convenance. Par exemple, il  y a deux groupes de campeurs dans le bois à environ 50 mètres l’un de l’autre. Un des groupes chante à tue-tête jusqu’à minuit. Ont-ils le droit ? Oui. Est-ce un acte de liberté ? Oui. Est-ce convenable ? Non. L’autre groupe est fatigué et essaie de dormir.

La liberté, comme le dit l’intellectuel français, est indivise. Ou bien elle existe, ou bien elle n’existe pas. Mais justement, l’argument de Thureau-Dangin se retourne contre lui-même. Car la convenance fait aussi partie des libertés. La convenance règle les cas gris, les cas-frontières. Il sied de faire certaines choses ; d’autres, pas. Huxley nous le rappelle autrement : «Les catégories de l’esprit sont relativement grossières alors que la matière est infiniment subtile.» Entendons : il y a une foule de nuances que la raison, avec son régiment de droits et libertés, ne saisit pas. C’est l’esprit de finesse qui doit nous guider, pour reprendre une distinction pascalienne entre esprit de finesse et esprit de géométrie.

Ce qui appelle une autre distinction. Celle entre deux respects : celui pour la liberté de parole (qu’on respecte mon droit de m’exprimer, de dire ce que je pense) et celui pour le choix du destinataire. J’ai droit que ma parole soit entendue par certaines personnes et pas par d’autres. Bref, le droit à la discrétion doit équilibrer le droit à la liberté d’expression. On n’a pas besoin d’un dessin pour comprendre que telle vérité que l’on confie à un ami nous mettrait dans tous nos états si elle était révélée par quelque Assange à quelqu’un à qui on ne veut pas la confier. On pensera à Facebook dans la même perspective. Combien de vie ont été brisées par des révélations, ou des formes de harcèlement, qui ont mené plusieurs à la dépression ou au suicide.

Mais il y a pire. Wikileaks révélera aux despotes et dictateurs de ce monde les noms de leurs ressortissants qui fournissaient des informations aux pays démocratiques. Ils seront torturés et tués. Le corollaire, dévastateur, apparaît déjà au lecteur : il deviendra fort difficile à l’avenir de dénicher des informateurs dans ces pays. Ils craindront d’être dénoncés par quelque Assange ou autres idéalistes de même acabit.

En somme, Le problème majeur de Wikileaks, c’est qu’il dit des choses qui devraient être tues. Il convient, pour un plus grand bien, de respecter les limites des personnes et des peuples.

Plus profondément, l’option inhérente à Wikileaks représente une forme subtile d’illuminisme, celle de la transparence radicale, pour adopter l’expression utilisée par une des têtes de première force, Mathieu Bock-Côté. Cette transparence radicale «n’est pas étrangère à une forme inédite d’asservissement d’autant plus vicieuse qu’elle se présente sous les traits d’une forme nouvelle d’émancipation.» Il s’explique ainsi :

La philosophie politique classique nous l’avait enseigné : c’est parce que les hommes sont capables non seulement du meilleur mais du pire qu’ils doivent être gouvernés. S’ils étaient des saints, ils pourraient probablement se contenter de la morale et du droit. Mais comme nous l’a rappelé Raymond Aron, c’est parce que l’existence humaine se dérobe à ce sublime espoir que le diplomate et le soldat deviennent des figures incontournables pour l’État [1].

Bref, Assange agit comme si nous étions de purs esprits. C’est, tout compte fait, la même attitude que celle de l’Inquisition, cherchant la vérité par l’emploi de nombreux inconforts. Je crains cette espèce de pureté tous azimuts. L’histoire en a montré trop souvent les effets dévastateurs.

Dans un prochain article, nous situerons Wikileaks dans le contexte moderne de la surenchère d’information


[1] , La Presse, 2010-12-07

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