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Soumis au ministre Pierre Duchesne, ministère de l’Enseignement supérieur (1)

05-03-2013

Soumis au ministre Pierre Duchesne, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec dans le cadre du Sommet sur l’enseignement supérieur

  Par Jacques Martin

Table des matières

Introduction

3

 

 

 

I-

La gouvernance et le financement des universités

4

1.1

Transparence dans la gestion (rapports d’activités)

4

1.2

Salaires des recteurs et autres cadres supérieurs

4

1.3

Gestion des contrats de recherche

4

1.4

Gestion des régimes de retraite

5

1.5

La gestion des cadres et du personnel non-enseignant

6

1.6

Financement des universités

9

 

 

 

Introduction

 

Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie publiait, à l’automne 2012, un document d’information intitulé :  Préparer le Sommet sur l’enseignement supérieur pour tous[1]. En prévision du Sommet, quatre thèmes devaient être approfondis dont les suivants :

 

  • La qualité de l’enseignement supérieur
  • L’accessibilité et la participation aux études supérieures
  • La gouvernance et le financement des universités
  • La contribution des établissements et de la recherche au développement de l’ensemble du Québec.

 

Nous aborderons dans le présent texte le troisième thème, soit la gouvernance et le financement des universités.  Nous présenterons certains éléments pouvant servir à préparer le Sommet sur l’enseignement supérieur. Il s’agit de pistes de solution sur le financement des droits de scolarité car, à ce stade-ci, nous n’avons pas accès à toutes les données requises dont dispose le ministère de l’Éducation ou celles provenant des diverses instances impliquées dans ce débat.

 

La CREPUQ[2] considère que les universités québécoises sont sous-financées d’environ 620 millions de $ par année. Nous ne remettons pas en cause ces chiffres puisque cela dépasse nettement notre propos.

 

Le présent texte suggère à ceux qui prépareront le Sommet sur l’enseignement supérieur d’approfondir certains arguments qui laissent croire qu’une meilleure gestion universitaire pourrait générer des économies substantielles et réduire ainsi le montant du manque à gagner de 620 millions $ avancé par les recteurs.

 

À la section V de notre document, nous soumettons des pistes de solutions pour combler, en partie, ou en totalité, ce manque à gagner qui aura été décrété ou accepté par les participants au Sommet.

 

I-         La gouvernance et le financement des universités

 

1.1   Transparence dans la gestion (rapports d’activité)

 

Est-il normal que plusieurs facultés, écoles professionnelles ou universités du Québec ne publient pas de rapports annuels ?  Lorsqu’elles en publient, les données sont tellement agrégées (sauf exception) qu’il est difficile, sinon impossible, d’en faire une analyse sérieuse. Par exemple, HÉC ne publie pas de rapport annuel sur son site Internet. Or, il s’agit ici d’un budget de fonctionnement de plus de 135 millions de $ annuellement … ne serait-il pas normal que nos facultés et universités fassent preuve de plus de transparence ?  Comment les membres du conseil d’administration (CA) peuvent-ils suivre la gestion sans un tel rapport ? Comment les associations de professeurs (AP) peuvent-elles débattre des orientations stratégiques de leur institution sans tomber dans des luttes intestines pour se partager les ressources ?

 

1.2  Salaires des recteurs et autres cadres supérieurs

 

À L’Université Concordia trois recteurs ont démissionné ( ou ont été congédiés) sur une période  de 5 ans. L’université  a dû verser des primes de départs totalisant 3,1 millions de $ à ces hauts dirigeants.  Est-ce une erreur dans la sélection de ces recteurs ou ont-ils  été forcés de démissionner ? Toujours à  l’université Concordia, cette dernière à accordé un prêt,  sans intérêt, de 1,4 million $  à un candidat  au poste de recteur intérimaire afin qu’il puisse s’acheter un condo? [3]

 

Un grand nombre de recteurs (ou doyens) gagnent entre 350 000$ et 500 000$, par année. C’est beaucoup plus que le salaire du premier ministre du Québec… Y a-t-il une échelle salariale pour les recteurs et doyens? En d’autres termes, puisqu’il s’agit de fonds publics, serait-il normal que le gouvernement  du Québec puisse encadrer  ces échelles salariales et qu’elles soient connues du public ?

 

1.3       Gestion des contrats de recherche

 

Dans nos universités, il se fait de plus en plus de la recherche pour les entreprises privées. On peut se poser la question si tous les coûts reliés à cette recherche sont facturés au secteur privé par les professeurs d’université du Québec (ex. : frais de loyer de bureau, de communications, papeterie, photocopies, cartouches d’encre, etc.).

 

Bref, si les professeurs facturaient à l’entreprise privée les vrais coûts de leurs travaux de recherche, ne récolteraient-ils pas beaucoup plus d’argent et une bonne partie de cet argent pourrait retourner dans les coffres des universités.

 

Actuellement, plusieurs entreprises privées ( ex : l’Industrie pharmaceutique) considèrent qu’il est plus avantageux de confier leur recherche  aux chercheurs universitaires plutôt que  d’effectuer cette recherche à l’intérieur de leurs propres laboratoires. Ainsi, plusieurs laboratoires pharmaceutiques ont fermé leurs portes dans la région de Montréal dernièrement pour confier leur recherche aux professeurs d’université[4].

 

1.4  Gestion des régimes de retraite

 

Au cours des années 1970-2008, les universités se sont détachées du RREGOP pour se doter de régimes complémentaires de retraite capitalisés à 100 %. Ces régimes de retraite sont à prestations déterminées. Ainsi, les professeurs reçoivent à leur retraite une pension pouvant s’élever jusqu’à plus de 70 % du salaire moyen de leurs cinq meilleurs années de revenu selon le nombre de leurs années de service. Si le fonds de pension des professeurs n’obtient pas un rendement suffisant pour constituer les réserves actuarielles requises pour payer les rentes promises, la direction de l’Université doit aller puiser ailleurs les fonds manquants comme c’est le cas actuellement.

 

Ainsi comme l’écrivait A. Poitras, « la débâcle boursière de 2008, puis la chute des taux d’intérêt ont creusé des trous béants dans les fonds de pension universitaires. Les déficits de capitalisation – sont maintenant vertigineux :  307  millions de $ à l’Université Laval, 254 millions $ à l’Université du Québec, 228 millions $ à l’Université de Montréal …

 

Pour être en mesure de tenir leurs promesses de rentes – jusqu’à 70 % du salaire à la retraite-, les universités doivent combler ces trous à même leur budget de fonctionnement qui doit en principe être consacré à la qualité de l’enseignement, à la recherche et à l’encadrement des étudiants. Évidemment, l’argent qu’elles consacrent à renflouer les fonds de pension, elles ne peuvent le mettre ailleurs.

 

 

Est-ce que le gouvernement du Québec versera une subvention annuellement pour compenser les faibles rendements obtenus par les fonds de pension universitaires depuis 2008 ou est-ce plutôt les retraités universitaires qui devront accepter des pensions réduites comme doivent le faire les détenteurs d’un RÉER dans le secteur privé ?

 

Les régimes complémentaires de retraite capitalisés représentent des milliards.  Avec un déficit de capitalisation de près de 800 millions $ pour les seules universités Laval, de Montréal et du Québec, on peut douter que les univesités disposent des compétences nécessaires pour gérer des capitaux d’une telle envergure.

 

1.5            La gestion des cadres et du personnel non-enseignant

 

Dans un document intitulé : « Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité? », Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin[5] écrivaient que les arguments fournis par la CREPUQ, pour justifier la hausse des droits de scolarité étaient à l’effet que ces hausses permettraient d’engager les meilleurs professeurs, d’acheter de meilleurs équipements et d’améliorer la qualité de l’enseignement.

 

Or, il est étonnant de constater que de 2000 à 2008, ce sont les gestionnaires et les cadres qui constituent l’essentiel des récentes embauches comme le démontre le graphique 1.  La reconversion commerciale de l’université exige de plus en plus de contrôles administratifs et de coûteux mécanismes de surveillance[6].

 

 

2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources : Université de montréal, Rapports annuels 2000, 2008,  ww.recteur.umontreal.ca/documents/

 

 

 

« À l’Université de Montréal, le graphique montre que le personnel administratif (cadres et professionnels) y est passé, entre 2000 et 2008, de 10 % (817 employé-e-s) à 15 % (1712 employé-e-s) du personnel. En contrepartie, la proportion des professeurs a diminué, passant de 26 % du personnel total des universités en 2000 à 22 % en 2008 »[7].

 

Autre exemple, à l’UQÀM, pour la période de 2000 à 2006, la masse salariale des professeur-e-s n’a augmenté que de 19 % alors que celle du personnel de gestion a connu une hausse de 30 % et celle des cadres supérieurs, de 40 %[8]

 

« Entre 1997 et 2005, la part de la masse salariale allant à la direction des universités du Québec a augmenté de 2 %, alors que celle des professeur-e-s a diminué de 4,4 %. La masse salariale du personnel de direction et de gérance a augmenté de 83,2 % entre 1997 et 2004 »[9]

 

Dans les universités américaines, le ratio du personnel affecté à l’administration et au soutien par rapport au personnel enseignant a presque doublé de 1976 à 2009, passant de 50 % en 1976 à près de 100 % en 2009[10]. (Voir graphique 2).

 

“Despite so many fat years, universities have done little until recently to improve the courses they offer. University spending is driven by the need to compete in university league tables that tend to rank almost everything about a university except the (hard-to-measure) quality of the graduates it produces. Roger Geiger and Donald Heller of Pennsylvania State University say that since 1990, in both public and private colleges, expenditures on instruction have risen more slowly than in any other category of spending, even as student numbers have risen. Universities are, however, spending plenty more on administration and support services (see chart 2)”[11]

 

On pourrait résumer cette citation anglaise par ce qui suit[12] :

 

« En dépit d’un grand nombre d’années fastes, les universités ont peu fait jusqu’à tout récemment afin d’améliorer l’enseignement offert. Les dépenses universitaires sont allouées afin de leur permettre de compétitionner entre elles sur un grand nombre de critères qui touchent à peu près tous les aspects universitaires, à l’exception de la qualité (difficile à évaluer) des diplômés qu’ils forment. Selon Roger Geiger et Donald Heller de l’Université Pensylvania State, les dépenses attribuées à l’enseignement ont augmenté beaucoup plus lentement que toutes autres catégories de dépenses, dans les institutions post-secondaire, tant celles du secteur public que privé, et cela même si le nombre d’étudiants s’est accrû. Par ailleurs, les universités ont dépensé beaucoup plus sur les aspects administratifs et de services de support comme l’indique le graphique 2.

 

Proportion des employés professionnels (non-enseignant) par 100 enseignants.

 Source : The Economist, op. cit. p. 29

 

Il est intéressant de noter que la tendance à l’augmentation vertigineuse des frais d’administration et de soutien dans les universités américaines a été encore plus spectaculaire qu’au Québec, de 1976 à 2009, malgré le fait que les droits de scolarité aient explosés aux Etats-Unis au cours de cette même période.

 

En effet, alors que l’indice des prix à la consommation a été multiplié par quatre de 1978 à 2012, passant de 100 en 1978 à 400 en 2012 (voir graphique 3), les droits de scolarité furent multipliés par douze aux États-Unis, passant de 100 en 1978 à 1200 en 2012[13].

 

Graphique 3

                              Comparaison entre l’accroissement de l’indice des prix à la consommation et l’augmentation des frais de scolarité dans les universités américaines entre 1978 e 2012 : Indice janvier 1978 = 100 – Source, The Economist, op. cit. p. 29

 

La CRÉPUQ affirme que toute augmentation des droits de scolarité permettrait d’accroître la qualité de l’enseignement et de la recherche. L’expérience vécue par les universités américaines depuis les 35 dernières années nous incite à la prudence en ce qui a trait à l’augmentation des droits de scolarité car, aux Etats-Unis, ceux-ci ont été affectés surtout à l’embauche de personnel de gestion plutôt qu’à celui de personnel enseignant.

 

1.6            Financement des universités

 

Dans un excellent article rédigé en 2004 par Frédéric Lacroix et Patrick Sabourin[14], ces derniers concluaient ceci :

 

            « Enfin, il ne paraît pas justifiable d’augmenter les frais de scolarité pour l’ensemble des étudiants québécois avant d’ouvrir le débat plus fondamental, que constitue le niveau de financement accordé aux institutions universitaires anglophones du Québec.  Ce niveau dépasse de loin celui justifié par la proportion d’anglophones au Québec et, de plus, est complètement hors-normes comparativement aux pratiques en vigueur dans les autres provinces canadiennes.

 

            En termes clairs, le Québec finance, sans aucune contrepartie, une part disproportionnée du système d’éducation post-secondaire destiné à la communauté de langue anglaise du Canada. Si le Québec était dans la « moyenne canadienne » et si McGill accueillait la même proportion d’étudiants non-résidents que l’université de Toronto environ 7000 places d’études devaient être retranchées du total accordé à McGill (soit 23,6 % du total des places d’études en 2002 et à peu près 45 millions sur 200 millions de $ du budget total de l’établissement).

 

            Les universités anglo-québécoises sont financées à un niveau qui dépasse de loin la proportion d’anglophones au Québec. Ceci étant le cas, ces institutions ratissent large et vont garnir leurs bancs en recrutant ailleurs que dans les rangs de la communauté anglo-québécoise.  Les étudiants canadiens non-résidents représentent une proportion importante de la clientèle du système anglo-québécois. Ceux-ci sont massivement concentrés dans trois universités :  Bishop’s, McGill et Concordia. Environ 79 % des étudiants hors-province sont accueillis dans les universités anglophones. Cette situation est sans équivalent ailleurs au Canada.

 

            On peut calculer que sans cette présence d’étudiants non-résidents, la part des universités anglophones descendrait à 18 % du financement total (au lieu de 23,2 %), ce qui correspond à une diminution de 20 % en termes relatifs et environ 82 millions de dollars par année en termes absolus. Cette somme correspond grosso modo au tiers du sous-financement des universités québécoises en termes de fonds de fonctionnement généraux selon l’étude du CREPUQ-MEQ. L’impact financier des non-résidents est donc important. Le sur-financement de la filière anglophone est en partie lié à l’importante présence d’étudiants canadiens non-résidents »

 

Les calculs de Lacroix et Sabourin devraient être actualisés en 2013 afin de vérifier si le sur-financement des universités anglophones du Québec correspond toujours au tiers du sous-financement des universités québécoises. Si tel était le cas, il y aurait lieu, pour le gouvernement, de réagir.

 

 



[1] L’enseignement supérieur pour tous ; document d’information :  préparons le Sommet, Mesrst.gouv.qc.ca, p. 6

[2] CREPUQ :  Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec – Le financement des universités québécoises comparé à celui des universités des autres provinces canadiennes de 2000-2001 à 2007-2008, – 17 novembre 2010, p. 7.

 

[3]  Fédération étudiante universitaire du Québec, (FEUQ) : « Mettre de l’ordre dans la chaos :  critique de la gestion universitaire », novembre 2011, p. 3.

[4]  Martine Letarte, Les universités sont mises à contribution – Industrie pharmaceutique, Le Devoir, 3-4 novembre 2012 (www.Ledevoir.com/societe/sante/ … / Les-universités-sont-mises-à-contribution et Bertrand Marotte, Merck to invest 12,6 millions $ in Quebec Health, Globe & Mail, 26 novembre 2012

[5]  Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? Huit arguments trompeurs sur la hausse, Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), 2010, p. 9

[6] Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, op. cit., p. 9

[7] Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, op. cit., pps. 9 et 10

[8] Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, op. cit., p.10

[9] Eric Martin et Simon Tremblay-Pepin, Université inc., Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Lux, 2011, p. 29

[10] The Economist, Higher education, not what it used to be, December 1st, 2012, pps. 29-30

[11] The Economist, id, ibidem

[12] Traduction libre de l’auteur

[13] The Economist, op. cit. p. 29

[14] Frédéric Lacroix, Patrick Sabourin; Financement des universités : le non-dit, revue l’Action nationale, octobre 2004, p 87, p.104 et p.97