Essayez donc de me faire partir.
Par Jean-Paul Kozminski
Je m’appelle Jean-Paul Kozminski. Remarquez que j’aurais été honoré de m’appeler Elkouri, Arslanian ou Lam chan Tho! Je ne suis pas né au Canada. Je suis citoyen canadien depuis 1968. Citoyenneté accordée après les années de probation requises.
J’ai les mêmes privilèges, droits et devoirs que n’importe quel authentique autochtone de souche, à la ceinture fléchée ou au kapo de chat, de la Colombie Britannique au Cap Breton, (point barre, point final.) je ne me sens pas «étranger». Pa s une m… miette!
Devoirs de citoyen que j’ai remplis avec conscience, privilèges que j’ai acceptés avec respect.
Donc tout au long de ma vie de travail, j’ai payé mes impôts (et je continue), créé une entreprise, des emplois, (donc  encore plus d’impôts), tendu la main à mon prochain, ce que je fais encore en faisant du mentorat au sein du Repaf (regroupement pour les entrepreneurs et professionnels africains).
Bien sûr, on m’a traité de «maudit Français» (histoire des bateaux qui retournent), de «maudit Russe» de «communiss», de «voleur de job», et évidemment de vouloir «émanciper les jeunes filles.» Quand on est beau et plaisant… que voulez-vous! J’ai même été «excommunié» parce que je ne faisais pas mes Pâques… si, si!
J’ai rencontré des jeunes de tous les horizons. Je garde souvenirs de conversation (au café Martin sur de la Montagne, restaurant aujourd’hui disparu) et de débats sur Ibsen, Dostoïevski, Victor Hugo et les misérables, Balzac, auteurs auxquels nous faisions référence suite aux attitudes observées de la condition humaine, conversations entendues lorsque nous servions aux tables. «On» nous demandait : «êtes-vous étudiant?» nous répondions «oui», et après quelques échanges respectueux nous partagions les généreux pourboires.
Auprès de ces camarades de rencontre, j’ai appris qu’il y avait plusieurs religions : juive, musulmane, protestante, chrétienne. Je me suis demandé pourquoi les catholiques faisaient le signe de croix à l’envers. Nous orthodoxes le faisions à l’endroit, vous voyez le paradoxe? Et nos chants d’église sont plus beaux, élèvent l’âme vers le ciel, vrai n’est-ce pas? Alors on s’expliquait.
Aujourd’hui je retiens encore la Cène (cena en latin, repas du soir), j’aime l’idée de partage, quels que soient les plats préparés affectueusement par la maman et le papa pour honorer leurs invités. Je pense au «Tou Bichevat», cette fête juive qui dédie une journée au «nouvel an des arbres» qui nous apportent fruits et oxygène. Formidable aussi cette idée dans le Coran de souligner l’Achoura, journée qui permet de remercier l’incommensurable d’avoir sauvé Moïse, (ou «Moussa» en arabe), et les Hébreux des griffes de Pharaon. J’aime moins le fait que bien des soldats-paysans innocents soient disparus, noyés, engloutis par les flots de la mer rouge.
Nous avions des noms que l’on nous faisait répéter pour ne retenir que le prénom ou encore le surnom. Moi, j’étais «Le koz», plus breton que ça, je suis transformé en galette. Ou alors d’jépi. Bref, je m’amusais bien et m’amuse toujours avec mes amis. Pas de différence… j’ai toujours un accent, mais eux aussi, alors on est ex-aequo, (ou égal si vous voulez.)
Aujourd’hui, comme hier, nous pouvons reprendre la conversation, reprendre l’apprivoisement entre nous. Ne pas avoir peur d’être «autre»! Et puis? Est-ce ma faute si je ne suis pas né sur les bords de la rivière des Prairies? Si j’ai un accent différent du vôtre? Si ma génétique me donne une peau plus pâle ou foncée? Des yeux bruns ou bleu? D’ailleurs, ne dit-on pas de certains québécois qu’ils ont un air latino? Cheveux noirs (qui ne blanchissent pas, les chanceux), yeux bruns, peau mâte? Serait-ce qu’un ancêtre ait pu fôlatrer au nord du nord à la recherche d’autres formes de castor?
Alors, alors, mes chers amis, que devons-nous dire ou faire devant ces tristes et pathétiques personnages qui causent sans savoir? Rien, on continue à être de bons citoyens dont notre pays peut être fier.
Un proverbe russe dit que «la caravane passe… les chiens aboient».D’un côté, une mobilité, une découverte d’un paysage changeant à chaque pas, une mission, la joie du voyage et de l’observation des saisons, l’espérance des rencontres et du partage, de la souffrance aussi et des mésaventures. Mais aussi cette nécessaire adaptation à un quotidien qui nous offre tant d’occasion d’ajustement de nos valeurs, de notre grille d’analyse, cette chance magnifique de devenir soi-même, de pouvoir muer, de changer de peau, pour parfois se couler dans une autre, pour mieux comprendre. Quel beau voyage au Canada, quel beau voyage en Acadie, quel beau voyage au Saguenay.
Quant à ceux qui aboient et restent sur place, que voulez-vous, je suis déjà plus loin et ne traîne pas dans mes bagages les déchets que je prends soin d’enterrer et continuerais d’oublier. Je n’ai pas fini de «marcher» mon pays à la rencontre de nouveaux amis québécois, de souche ou non, et qui s’ajoutent à ceux que j’aime profondément.