Montréal

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Un séjour à l’hôpital – la voix de Mado

23-02-2010

Un séjour à l’hôpital – la voix de Mado

Par Catherine Kozminski

Lorsqu’on arrive à l’étage des petits patients hospitalisés au « 65 » de l’hôpital Ste-Justine, on se croirait dans une ruche où de nombreuses abeilles s’affairent ici et là. Devant nous se dresse un long couloir menant à de larges portes vitrées dont les rideaux bleu marine nous empêchent de voir ceux qui se trouvent à l’intérieur des chambres, mais nous permettent d’imaginer l’histoire de chacune de ces familles qui vivent certainement un peu ce que nous vivons depuis des mois maintenant. La chambre de notre fille est à peine décorée et la peinture est écaillée à certains endroits. Tout nous rappelle que nous ne sommes pas à la maison : les fenêtres qui donnent sur une partie d’un immeuble désaffecté et qui ne peuvent pas s’ouvrir, les appareils médicaux à la portée des infirmières, les grands lavabos au-dessus desquels les règles d’hygiène sont clairement affichées, des gants de plastique par dizaines suspendus au mur, du désinfectant à mains, la porte qui s’ouvre et qui se referme constamment, sans oublier les pleurs des enfants qui sourdent des chambres avoisinantes, ne comprenant pas l’objet de leur visite dans ces lieux aseptisés.

Dire que nous dormons est un bien grand mot quand nous restons au chevet de notre fille durant les nuits que l’on ne compte plus. J’ai souvent l’impression de me retrouver dans un passé lointain et pourtant pas si loin, celui de mes séjours à l’hôpital après avoir donné la vie à trois reprises. Le manque de sommeil devient alors chose courante et nous voilà initiés à la « parentalité » en quelques heures seulement. Heureusement, tout se calme avec le temps. Les enfants grandissent et s’installe dès lors une routine : celle d’une vie rêvée rectiligne. C’est ce que je croyais, du moins, jusqu’à récemment. Comment peut-on croire, voire imaginer, que l’enfant que nous venons de mettre au monde puisse un jour être assez malade pour que l’on en vienne à remettre sa propre survie en question ? Je me revoie alors, du haut de mes dix ans, pleurer à chaudes larmes en voyant le jeune Charles Bruneau, fils du célèbre journaliste Pierre Bruneau, atteint de la leucémie il y a plus de vingt ans et disant fièrement : « Quand je serai grand, je serai guéri ». Il n’aura jamais pu voir ses vœux exaucés puisque c’est peu de temps après, en mars 1988, qu’il succombait à sa maladie à l’âge de douze ans seulement. À l’époque, on sauvait environ 70% des enfants leucémiques. Aujourd’hui, on parle de 85% environ de patients en rémission. C’est tellement encourageant. C’est la même chose pour les rares cas de myasthénie grave infantile. Un grand chercheur me disait récemment qu’il y a dix ans, on en était à l’âge de pierre concernant les traitements liés à cette maladie neuromusculaire auto-immune dont l’origine nous échappe encore.

Dans le cas de notre fille, c’est une myasthénie grave agressive que l’on traite agressivement en retour en lui faisant une plasmaphérèse chaque jour depuis presque une semaine. Pour ce faire, on lui a installé sous anesthésie générale un « permacath », cathéter permanent qui permet de pouvoir enlever le plasma de son sang fréquemment, sans que l’on ait à la piquer chaque jour. Vivement les avancées médicales. Malgré le fait qu’elle ne peut plus prendre de bain, se baigner dans une psicine ou aller jouer dans le sable, notre petit ange affirme fièrement qu’au moins, elle n’aura pas à endurer de piqûre constamment. Quelle sagesse ! Et c’est moi qui pleure en cachette dès qu’elle a le dos tourné ? Il y a des moments où je ne comprends pas ce qui nous arrive, tellement nous sommes emportés dans un tourbillon d’émotions qui nous aveugle par sa vitesse et ses imprévus.

C’est alors souvent dans ces moments de grand désarroi que j’entends dans le couloir de l’hôpital la voix réconfortante de Mado, une éducatrice présente à l’étage des petits malades du sixième, qui vient voir si Maëlle est prête pour faire une activité, un bricolage, un dessin, bref, un semblant de quelque chose qui ressemble aux occupations d’une enfant de sept ans. C’est alors que le visage de notre amour s’illumine, comme si un ange venait de lui apparaître. On la voit suivre Mado, fière comme Artaban, jusqu’à la salle de jeux qui se trouve au bout du couloir. Je profite alors de cet intermède pour m’asseoir quelques instants et ainsi donner le droit à mes larmes de couler tranquillement. Il semble que cela fasse partie du quotidien, ici. Au loin, j’entends Maëlle rire aux éclats. C’est le moment présent qui emplit son cœur d’enfant. La maladie n’est même pas un refrain qu’elle fredonne, mais un passage obligé, un détour de sa courte vie qu’il lui faut déjà prendre et qu’elle découvre au fil des jours en le faisant sien.