Montréal

Nouvelles

Madame CHARLESIA, Médium

16-03-2011

Madame CHARLESIA, Médium.

 

Par Eric E.G. NOGARD    

 

A moins de pouvoir recourir à sa Famille ou à des Gens Secourables, gagner sa Vie ou Mourir de Faim était de Règle en ce Temps là.

Madame CHARLESIA le savait comme tout autre.

Madame CHARLESIA le savait peut-être mieux que quiconque.

Mais hélas, qui était-elle, cette Pauvre Dame CHARLESIA.

 

Portée sur le P’tit verre, elle paraissait toujours Pompette et elle l’était toujours.

Dès l’aube, un bon coup de Taffia en « Cul Sec » au travers du gosier et debout.

On était prêt à affronter les Réalités Lumineuses ou Sombres de l’Existence.

Aimant le Gros Tabac dont elle enroulait elle-même les feuilles ou qu’elle mastiquait… Toujours chiquant ou fumant, ses dents en étaient de Houille Noire.

 

A ce régime, quel corps pouvait-il lui rester sinon quelques os tels des bâtons pour servir de support à de vieilles hardes pour épouvanter les oiseaux.

Sauf que son linge était propret et son chapeau un casque, pas un chapeau de paille.

Sauf qu’elle portait souliers, de vieux godillots ramenés de la guerre et bien cirés, toujours lustrés.

Son Créole était bon, son Français pas mauvais, sa tête était à elle, du moins, dans l’exercice de « ses Fonctions ».

 

Et du Matin au soir elle errait. Le faisait-elle la nuit, sans risquer de mentir, sans risquer de médire, je ne le dirais pas.

 

Venait-elle de Bohème, arrivait-elle d’Egypte de Murcie ou d’ailleurs, elle faisait Bohémienne, elle faisait Gypsie et à n’en pas douter, elle était du Voyage.

 

Mais toujours seule dans sa Caravane et toujours seule dans sa roulotte, que d’un Coup de Baguette elle faisait disparaître dans l’une de ses poches aussitôt parvenue aux portes de la Paroisse, elle était Magicienne.

 

L’autre Poche, aussi grande que la première, donnant asile à un encrier, une plume et un calepin, ses outils de travail.

 

Elle avait ses « Points de Chute », elle avait son Monde, elle connaissait tout le Monde.

En plus de cela, elle avait sa clientèle. Elle ne saurait manquer de Clients.

Ecrivain Public, elle l’était certes, sachant lire, écrire, comprendre l’autre, lire dans les pensées.

Cassandre de Troie, elle l’était si l’on peut dire, l’expérience permet les prévisions…

Calchas, elle l’était aussi : Psychologue ou Médium… elle savait jouer son jeu.

 

Inutile de préciser qu’elle était de la Trinité, chef-lieu des Cantons de Sainte-Marie, du Gros-Morne, du Robert et de la Trinité, suspendus à la Presqu’île de la Caravelle – où sont les vestiges du Château Dubuc – tels des cerises à leur branche.

 

Comme vous le savez déjà, à quoi bon vous dire, que la Trinité avait alors, en plus de sa Place Joyeuse, de son Etude Notariale, de son Tribunal d’Instance, Six Voitures Particulières, chose inouïe pour cette époque où le Cheval Mécanique ne courrait pas les chemins petits ou grands.

 

En fait de voitures particulières, les épaves sont laissées où elles sont pour laisser rouler celles qui sont en état de le faire, à savoir :

 

ü Celle du Docteur DOMERGUE, Chauffeur Hyppolite,

ü Celle du Docteur BUCHER jamais conduite que par son Maître,

ü Celle de Maître PETIT toujours blottie au garage,

ü Celle de Monsieur Robert DESPOINTES, Négociant – Industriel de l’Ananas,

ü Celle de l’Abbé YVON, Chauffeur Charmant,

ü Celle d’un Notable inconnu, Chauffeur Eynard,

 

Les deux dernières faisant office de Taxi.

 

Et, puisqu’il a été question de voitures, pourquoi ne pas parler d’Autobus.

Mais alors, avec Fidélité de Mémoire SGDG, Sans Garantie du Gouvernement.

 

Le premier en date fut mis sur la ligne Trinité-Fort-de-France en Go and Fro.

Départ le matin à Sept Heures, retour à Dix Sept Heures, avec Trente Deux Passagers, biens rangés et aussi bien serrés que sardines en boîte ! bien mieux que dans l’Hirondelle si chère à Madame Bovary dont on connaît l’histoire.

 

Propriétaire Monsieur Raphaël ROY-CAMILLE, Chauffeur Martine, puis vint Ernest BARTHELERY, Chauffeur TELL.

 

 

Monsieur Raphaël ROY-CAMILLE eût l’idée de se transporter à Saint-Pierre après l’Eruption de la Montagne Pelée en 1902 – une vingtaine d’années après la Catastrophe – et en devint l’un des Pionniers, ami de Franck A. PERRET, Vulcanologue Américain.

 

C’est ainsi qu’il suggéra la liaison par mer à Fort-de-France, par des Bateaux aux noms aussi évocateurs que « Pioneer » et « Gouverneur Mouttet ».

 

 

Mais, en fait, c’est de Madame CHARLESIA, Médium, qu’il s’agit.

 

Comme le Célèbre Edgard Allan POE, elle avait dans sa poche Calepin, encrier et plume.

Et comme Edgard Allan POE, sinon de la même façon, elle mourut de ses péchés mignons.

Elle était déjà squelettique, elle s’éteignit en allumant sa dernière pipe.

Plus d’Ecrivain Public, plus de Conseils Avisés, seulement le souvenir du Médium dont on feignait de se moquer, dont on sollicitait les Oracles, qu’on redoutait autant que la queue du Diable en personne.

 

Vous pouviez lui demander d’invoquer pour Vous l’Âme de l’un de vos Morts.

Vous lui disiez lequel, une photo à l’appui ou quelque chose lui ayant appartenu.

Elle s’attablait de la façon la plus docte, en même temps que « se mettaient à table », le Calepin, l’encrier et le porte plume vite surgis de sa poche.

Et son regard, insensiblement, inexorablement, voguait du Royaume des Vivants à l’au-delà… jusqu’à celui des Morts…

 

Et sa tête se mettait brusquement en branle, comme prise de Parkinsonite suraigüe.

Son cou s’allongeait démesurément en se tordant comme celui d’un Caïali avalant un gros rat.

Et sa main, armée du porte-plume se mettait à cogner frénétiquement sur la table…

Des cris rauques lui sortaient du fin fond des entrailles… la Transe.

Et la plume courait sur le papier, ses yeux erraient hagards, démesurés, sortant de leurs orbites…

 

Et Hop ! C’était fini, elle était épuisée, cadavérique, comme morte.

Elle entrouvrait un œil, puis la bouche et disait :

 

« Lis le Papier, tu me dois Cent Sous, un « cul sec » et une chique de tabac. »

 

Elle était payée RECTA, pas de monnaie de singe en ce temps là.

Pas âme qui vive n’a eu à se plaindre d’une fausse Prédiction de la part de Madame CHARLESIA, Médium.

 

Que son âme repose en paix.

Liens Suggérés :

 

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