Merci, merci beaucoup Monsieur Martin.
Par Jean-Paul Kozminski
Ce 27 décembre, mon beau-père, Victor Martin est parti rejoindre son épouse Raymonde Simard-Martin décédée il y a juste un an, jour pour jour… le 27 décembre 2009.
Accueillir un «étranger» dans une famille québécoise des années 60, c’était quelque chose. Imaginez un jeune Kozminski arrivant dans une famille Martin, DeGuire, Potvin, Simard, Godin. Une curiosité.
Des questions… légitimes. Il faut bien savoir à qui on a à faire! Ton nom n’est pas français? Parce que tu parles comme un Français. Non… c’est un nom d’origine polonaise. Ma mère est née au Danemark. Mon père? Il est mort en Allemagne. Dans un camp de travail. Il était dans la résistance. Mon grand-père maternel? Gablowski. Oui, vous avez raison… sur la photo il ressemble à un Mongol. La horde d’Or est restée deux siècles dans cette partie de l’Europe… ça laisse des traces. Oui, j’ai perdu des amis en Algérie. Oui ça marque. Non je ne sais pas patiner. Ma mère? oui elle vit en France, c’est là que je suis né. Si je fais mes Pâques? Si vous le faites, je pourrais essayer de les faire.
Monsieur Victor Martin et Madame Raymonde Simard-Martin ont ouvert leur cœur et accepté que leur fille ainée fréquente ce garçon un peu bizarre : il faisait un drôle de sport (Tae-kwon-do), il pilotait des petits avions, il avait des amis italiens, Japonais, Coréens.  Il  jouait de l’harmonica et de l’accordéon et chantait parfois, des chansons qui heurtaient les oreilles chrétiennes : Le Gorille ou «ils ne savent pas ce qu’ils veulent, tous ces foutus calotins, sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde»… Brassens a fait rougir les oreilles de mes futurs beaux-parents, mais il a enchanté celles et ceux qui sont devenus mes frères et mes sœurs.
Monsieur Victor Martin, un des fondateurs des éditions Fides, président de L’Association des éditeurs canadiens, président du Conseil supérieur du livre et de l’Association des libraires du Québec a démélé l’Histoire avec un grand H de cet étranger. Devant les oreilles attentives de ses huit enfants, il déroulait les faits importants des alliances, guerres et traités, importance des idées dans la poursuite d’un monde meilleur, égalitaire, de tolérance, de partage. De cette recherche, légitime, du bonheur, d’un bien être. Du bonheur que nous avions de vivre dans ce pays, loin du fracas des bombes et des déportations, de la soif et de la faim, de la misère au quotidien. Il disait «On a de la place»!
Ce grand cœur ouvert sur l’autre, cet amoureux de l’Histoire acceptait une autre perspective que la sienne, influencée par les historiens de «son» époque. À un Rumilly, nous pouvions proposer la perspective économique d’un Leroy-Ladurie. Et c’était parti. Mais avant on se prenait un petit gin tonic, histoire de faire pétiller la mémoire. Un peu plus tard, ce sont ses petits-enfants qui  faisaient appel à sa prodigieuse mémoire et à ses références historiques ou autres. La question n’était pas de connaître dates et circonstances, mais l’heure à laquelle l’évènement était survenu.
Nos amis africains disent qu’un grand-père qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle. La chaleur de votre flamme, Monsieur Martin, me réchauffera pendant les années qu’il me reste à vivre. Vos braises ne s’éteindront pas.
Votre beau-fils, qui grâce à vous, n’est plus un «étranger»!