Missié li Maie ! Monsieur le Maire.
Par Eric E.G. NOGARD
C’était un « sans emploi », il fut Maire de sa Commune, pas juste un instant, mais !.. le restant de sa vie !..
C’était à Sainte-Marie, une commune de la Martinique, j’étais encore enfant.
En ce temps là  :
- Un sans emploi était bon à tout faire et disponible à tout moment, au service de qui avait besoin de lui, il n’avait rien du chômeur oisif, il était précieux et avait place et considération dans cette société où nul ne chômait d’ailleurs… il était un respectable jobeur… tout simplement.
- Toute demeure Bourgeoise – voire semi bourgeoise – comprenait entre autres dépendances, une rangée de chambres de 10 m2 chacune (souvent moins), vides de tout et louées pour quelques pièces aux campagnards, comme pied-à -terre, ou aux « sans emploi », comme domicile.
Ainsi chacun avait sa demeure payable en nature (fruits et légumes), en menus services ou en piécettes de bronze… donc, pas de « sans domicile ».
Et tout le monde – Logeur et Logé – y trouvait son compte.
- Le riche et le « bourgeois » savaient donner : la manière y était et la matière aussi. Ainsi les effets distribués, du couvre-chef aux souliers, en passant par les vêtements tenaient davantage du quasi-neuf que du bon à jeter. C’était pour le donneur le C de la Charité… et pour le récipiendaire, plus de joie que d’humiliation.
Notre Jobeur donc acceptait de bonne grâce les effets qui lui étaient donnés. Il en faisait grand cas, les rangeait méticuleusement chez lui et les portait les jours où il n’était pas de « Job ».
Il en fut ainsi un jour ou un « nouveau » fonctionnaire fraîchement nommé en cette localité, exprima le désir d’en visiter l’usine à sucre.
« Qu’à cela ne tienne » lui dit le bon Samaritain à qui il s’adressait.
« Voilà le Maire marchant à vingt pas devant nous ; Allez vite à lui et votre désir sera réalité. »
Sitôt dit, sitôt fait.
« Tout le plaisir sera pour moi de vous conduire à l’usine et de vous y recommander » lui fut-il répondu avec un parfait sang froid et la plus grande courtoisie… au demeurant sans le moindre complexe.
Et qui fut dit, fut fait.
Mais à l’Usine où ses vœux furent largement satisfaits, notre fonctionnaire sut, à la plus grande joie de tous, que notre Maire était juste notre « Jobeur », nippé comme l’as de pique, en vrai sosie du Maire, comme il aurait pu l’être en vraie doublure du Pape.
L’affaire fut connue au ravissement général… le Maire en fut enchanté, le Serviteur de l’Etat en fut ébahi, époustouflé, stupéfié.
En tout cas, On n’y vit, ni crime de lèse majesté, ni offense à l’Autorité de l’Etat, pas plus qu’à celle de la Haute Magistrature Communale.
Et c’est ainsi que tout le restant de sa vie notre ami fut appelé « Missié li Maie ».
Comme on le voit, c’était une autre époque.