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Pourquoi si peu de partis s’affichent au centre ?

04-11-2010

Pourquoi si peu de partis s’affichent au centre ?

Par Michel Frankland

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> On le constate tous les jours. Le clivage politique se définit dans la grande majorité des cas par l’appartenance à la gauche ou à la droite. Or, la longue analyse que j’ai présentée sur les pages du Carrefour des opinions, via plusieurs articles, conclut d’une manière imparable : lecentre constitue d’emblée la voie politique la plus féconde. La raison tombe sous le sens. La gauche et la droite représentent chacune des valeurs essentielles à toute vie socio-politique. Rappelons-le brièvement. La gauche perçoit la société comme une grande famille humaine. Il convient donc de penser les instances politiques comme des adjuvants communautaires. Nous sommes ici dans le monde de la compassion, de l’idéal, du rêve. Qualités féminines spécifiquement. La droite carbure à l’efficacité. Elle recherche le meilleur rapport qualité/prix et se désole de ce qu’elle considère comme un immense et inefficace appareil bureaucratique. Mais l’efficacité est d’abord personnelle. C’est là une des intuitions les plus ancrées chez les gen de droite. Le chameau est un cheval dessiné par un comité. Laissez les chevaux vivre leur galop ! Il n’y a rien de créateur comme l’individu ; la gauche comptabilise, mais n’est pas équipée pour l’innovation. Pas de création, pas d’industrie rentable. Voilà la conviction de la droite.

Deux séries de valeurs fondamentales. La gauche défend une des deux valeurs de fond de l’être humain : la responsabilité sociale. La droite voit l’autre versant, également riche en sagesse et en promesses : je suis responsable de ma vie. Si je la vis bien, l’humanité sans portera mieux. Ainsi, chacun des deux points de vue découpe la réalité selon ce biais et l’arrange d’une manières à occulter, nier ou contourner les aspects du réel qui n’entrent pas dans son schéma.

Car chacun des deux points de vue rivaux charrie les lacunes liées à sa valeur considérée trop exclusivement. Comme l’affirme le proverbe, un défaut est l’excès d’une qualité.

Ce qui échappe à la gauche, c’est l’inefficacité de ses structures bureaucratiques. Le docteur Charles Bernard, élu président du Collège des médecins fin octobre 2010, montrait l’inefficacité de l’appareil bureaucratique : Quand il faisait une demande au ministère de la santé, il devait passer à travers quatre paliers différents. Si bien que l’objet de sa demande n’était pas réalisé avant un mois.

La droite est aussi affectée de lacunes. Elle présente une vue souvent simpliste de la vie. L’écologie et le souci collectif en prennent ici pour leur rhume. Dimanche soir, le 31 octobre, Johanne Marcotte et Éric Duhaime dénonçaient la lourdeur administrative. L’auditoire acquiesce non verbalement. Mais ils déboulent alors une série de convictions qu’ils présentent comme congruentes à leur point de vue mais certaines ne le sont pas. Par exemple, en quoi la négation du réchauffement climatique se trouve-t-elle reliée à une meilleure gestion ? En quoi la baisse d’impôt aidera-t-elle à baisser le déficit astronomique qu’ils dénoncent par ailleurs à bon droit ? Les Danois sont couverts mur à mur et paient des impôts qui seraient considérés astronomiques. Mais les Danois, peuple plus mature, se demandent s’ils paient effectivement assez d’impôt.

Ces précisions étant apportées, la question posée dans le titre de cet article s’étale avec plus d’acuité. Comment se fait-il, en effet, que les valeurs des deux options soient à ce point endossées par leurs tenants respectifs puisqu’elle charrient à l’évidence les défauts que nous venons d’identifier ?

La réponse tient à la nature de la politique. Qui dit parti dit partisan. Cela connote la passion, le fer de lance, le cri de ralliement. La politique, c’est la bagarre. La politique consiste en une guerre généralement civilisée. Elle évoque la harangue de taverne, mais avec un langage souvent plus soigné. Il faut donc bien se camper. Il y a le coin rouge et le coin bleu. «Et dans le coin gauche, portant des culottes rouges..» La guerre ne fait pas dans les nuances. Elle doit enflammer. Une des sentences répandues fréquemment dans une armée en guerre montre la cruauté de l’ennemi. Il a violé les filles du village voisin. Il a fusillé sur la place publique les cent premières personnes qu’il a sorti de leur domicile. Etc. La vérité y est fréquemment déformée. Avec «une passion pour la vérité.» Il s’agit d’enflammer les membres pour en faire  bons soldats d’élection ; il s’agit tout autant de témoigner de solidité et de confiance par rapport à l’électorat.

Il s’avère important en effet de saisir la psychologie de l’électorat. Céline écrivait : «Les peuples n’ont pas d’idéal, ils n’ont que des besoins.» Le peuple veut un leader solide pour le défendre. Que celui-ci s’en prenne un peu dans la caisse gouvernementale, le peuple n’en a cure si le leader fait preuve de courage, de ruse, de ténacité pour le protéger contre la pauvreté et assurer la paix sociale.

On comprend alors que le centre, voie par excellence de la sagesse, se vend mal dans le ring politique. Les nuances et l’analyse rigoureuse nécessaires pour tirer un profit optimal de la complexe réalité socio-économique, très peu pour le peuple. Vous vous souvenez des statistiques ? Environ 19 % sont analphabètes ; 86 % ne peuvent comprendre un éditorial. D’où le dilemme du politicien : «Si je dis la vérité au peuple, avec toutes ses nuances et l’exigence courageuse que la complexité de la vie collective exige, je ne serai pas élu. Alors, …»

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