Coeur vaillant
Par Jean-Paul Kozminski
Monsieur Richard Boudreau, mon vétéran.
Les hauts faits d’arme du 22ième sont connus de tous. C’est toujours avec beaucoup de gentillesse que Monsieur Boudreau me livre, au cours de nos rencontres, ses souvenirs.
Il s’est engagé pour voir du pays et aussi parce qu’il comprenait que le régime nazi était mauvais. Qu’il fallait se tenir debout. Originaires de Petit Rocher (NB), ses frères se sont aussi enrôlés.
Après un entraînement très dur en Angleterre, Monsieur Bouchard s’est retrouvé dans une péniche de débarquement, direction une plage de la Sicile.
«Ça sifflait de partout. Les feux d’artifice de la ronde, c’est rien. Une pluie de fer. J’étais inquiet. La rampe s’est baissée et je me suis retrouvé dans l’eau avec mon sac. J’avais mon mortier et des munitions. C’est lourd. Un moment donné, j’ai senti que mon ami n’était plus derrière moi. La balle m’était passée à côté mais l’a frappé. Il est mort dans l’eau. Fallait avancer. On a atteint la plage et couru se mettre à l’abri. Mais ça tirait fort. On a réussi à prendre pieds et à progresser. C’était pas facile. La petite plaine était entourée de petites collines. Les Allemands et les Italiens étaient bien installés dans les villages qui nous entouraient en hauteur. C’était plus facile pour eux parce que la roche se creusait assez facilement pour faire des tranchées. Et puis il y avait des embuscades. Ça c’est traitre. Une chance que nos avions étaient là . Mais pas la nuit.»
«Des gars tombaient… mais on avançait, on avançait. On prenait une tranchée, un village et on continuait. Les ponts étaient détruits, il y avait des mines sur les routes et les chemins de travers, des mitrailleuses pouvaient nous prendre en défaut. C’est sûr que les chars pouvaient pas nous aider toujours. À cause des ravins, des rochers et des fois ça grimpait pas mal. On attaquait un peu comme les indiens. On s’approchait avec le moins de bruit possible et on leur sautait dessus au bon moment. Fallait pas rester à découvert longtemps. On se faisait tirer dessus.»
«En Italie, j’ai bien aimé. C’est beau l’Italie. Mais après 2 ans j’étais tanné.
Ortona, oooh, ça c’est quelque chose. On s’est retrouvé, avec le capitaine Triquet, a devoir prendre une maison qui s’appelait la Casa Berardi. On était appuyé par des chars. Puis on a été isolés. Les Allemands, c’est des bons soldats. Ils nous ont mené la vie dure. On avait des blessés partout. On pouvait pas s’en occuper. On était à 1 mile de la Casa Berardi. On nous avait dit qu’il fallait y arriver et attendre les renforts. Puis que la route vers Ortona serait libre pour les autres.
Triquet nous a dit que nous étions encerclés. Que le seul endroit où on serait en sécurité c’était l’objectif. Il fallait arriver à la maison. C’était pas facile mais, maudit, on y est arrivé.»
Ce que Monsieur Boudreau m’a raconté c’est que les 12 hommes, les 2 sergents et le capitaine Triquet ont investi la maison Berardi et repoussé toutes les contre-attaques allemandes. Le bataillon a fini par les rejoindre pour les délivrer de la pression ennemie. Des 145 hommes de la compagnie, il y eut 107 blessés, 23 tués.
Au petit jour, des soldats du bataillon ont retiré Monsieur Boudreau de son trou d’eau. Il avait les pieds gelés (c’était le 14 décembre 1943).
Ce qu’il m’a dit : «j’ai dû m’endormir sans m’en apercevoir. Ça faisait pas mal d’heures qu’on n’arrêtait pas.  On aurait manqué de munitions mais ils nous auraient pas eu.»
Et aussi :« j’ai été bien soigné sur le bâteau et en Tunisie. Après J’ai retrouvé ma compagnie. On est allé jusqu’au Nord. Puis ça été la Hollande. Mon frère est mort noyé.»
«J’ai pas voulu avoir une promotion. C’était pas moi de donner des ordres.
Quand je suis revenu, j’ai rien dit à mes parents. Un matin, j’ai dit que je devais voir un ami à Québec. C’était pas vrai. Mais fallait que je parte… je ne pouvais pas parler.»
Monsieur Boudreau m’avait dit : Quand tu iras voir ton gars à Caraquet, arrête à Petit Rocher. Tu vas voir, il y a un monument pour les anciens combattants, c’est devant l’église.
J’y suis allé… fais le tour de l’église. Rien… aucune plaque souvenir, aucun monument.
À mon retour je lui ai dit. Il a vérifié auprès de parents. Personne ne sait.