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En retard à Sainte-Justine

24-06-2010

En retard à Sainte-Justine

Par Catherine Kozminski

Comme tous les mardis et les vendredis depuis quatre mois maintenant, je sais que je ne dois surtout pas quitter la maison plus tard que 6h45 Am, afin de m’assurer de ne pas être coincée dans le trafic matinal. Traverser le pont Jacques-Cartier relève pratiquement de l’héroïsme, alors il faut faire preuve de prévoyance à tous les égards. Je connais tous les détours et raccourcis possibles et inimaginables pour que le trajet ne dure pas plus de quarante-cinq minutes. Chaque seconde est calculée pour que je n’arrive pas en retard à l’hôpital Sainte-Justine avec Maëlle. Sur place, une équipe dynamique et accueillante formée d’infirmières attachantes et de préposées dévouées nous attend pour que puisse commencer les traitements de plasmaphérèse dont Maëlle a besoin pour que sa maladie neuromusculaire, la myasthénie grave, reste bien contrôlée. Mis à part les traitements à l’hôpital et la prise de médicaments plusieurs fois par jour, la vie de Maëlle ressemble presque à celle de tous les autres enfants de 7 ans ½. Sa maladie ne l’empêche pas de continuer à mener son existence presque normalement, d’aller à l’école dès son traitement terminé, de courir dans le jardin en espérant dénicher un papillon qu’elle pourra observer dans un petit contenant qu’elle a reçu à son anniversaire. Ce que Maëlle préfère avant toutes choses, c’est de jouer avec sa chienne de la Fondation MIRA, Labelle. Cette dernière la suit partout et l’accompagne même parfois à l’hôpital, à son grand bonheur.

Pendant que je conduis, ces images d’une vie tranquille, loin de la maladie, me font rêver. Peut-être un peu trop, car, distraite, je ne vois pas le motocycliste qui freine brutalement devant moi et c’est l’impact. Je n’ai qu’une idée en tête : je vais être en retard à Sainte-Justine. Le conducteur n’a rien et nous non plus, heureusement, mais c’en est trop pour moi. Je ne peux plus contrôler mes larmes qui jaillissent comme un torrent sous les regards impuissants de toutes ces personnes prises dans la circulation. Je maudis le destin. C’est comme un mauvais rêve qui est en fait ma réalité quotidienne. Je trouve que la vie est injuste. Maëlle m’observe, impuissante, elle aussi, devant les larmes de sa maman. Je voudrais qu’elle ne me voie pas pleurer. Je voudrais tellement incarner l’image d’une mère aussi forte qu’un mât de navire qui tient bon devant toutes les intempéries que prévoit Mère Nature. Cette fois, je dois enlever ce masque de la super maman. J’essuie mes larmes et je continue ma route en espérant toujours de ne pas être trop en retard à l’hôpital. Maëlle aime bien retourner à l’école juste à temps pour le dîner qu’elle prend en compagnie de ses amis. Je ne pense qu’à cela. Plus rien n’a d’importance à part continuer à vivre, malgré tout, malgré l’adversité qui a frappé à notre porte sans prévenir. Au loin, sur le chemin de la Côte-Sainte-Catherine, je devine l’énorme bâtisse de l’hôpital. Maëlle m’observe du coin de l’œil, comme si elle voulait me demander si ça allait, si j’allais tenir le coup. Je lui souris du mieux que je peux, car je la trouve si courageuse. Alors, nous sortons de la voiture après nous être garées dans le grand stationnement du centre Mère-Enfant. Maëlle me prend la main, puis galope jusqu’à l’entrée de l’hôpital. Nous entrons, je respire un bon coup et … c’est reparti.