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SIXIÈME PROPOSITION OPTIMALE (suite)

01-07-2010

SIXIÈME PROPOSITION OPTIMALE (suite)

Par Michel Frankland

 

 

Mulroney, appuyé par un premier ministre québécois fédéraliste, se sent assez fort pour y aller de son compromis historique. Ce sera ce que l’on est convenu  de nommer «le lac Meech », ou simplement «Meech» – référence à ce lac de la Gatineau où «l’Accord du lac Meech » a été élaboré. Son objectif, rappelons-le, consistait dans un compromis visant à ramener le Québec dans la Constitution. Les cinq points de cet accord constituent conséquemment des modifications constitutionnelles. À cause de l’importance des modifications à une constitution, il y eut consensus chez les signataires : bien que les premiers ministres réunis au lac Meech eurent voté la l’unanimité les cinq accords, il convenait, eu égard à la gravité de la modification de la Constitution, que, dans un délai de trois ans, les onze gouvernements (dix provinces et le fédéral) ratifient l’entente.

Voici les cinq points de Meech :

  1. Une reconnaissance du Québec comme société distincte et de l’existence des faits français et anglais ;
  2. Que le Québec et les autres provinces disposent d’un droit de véto à l’égard de certains amendements importants à la Constitution ;
  3. Le droit de retrait d’une province, avec compensation, de tout programme initié par le gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale ;
  4. Une reconnaissance accrue des pouvoirs provinciaux en immigration ;
  5. Que trois des neuf juges de la Cour Suprême soient nommés par le Québec.

Je note des souvenirs de cette époque. Il y eut des discussions assez âpres entre souverainistes : cette entente est-elles suffisante ? Mon impression : une majorité de souverainistes s’y ralliaient, mais sans enthousiasme délirant. Et puis, plusieurs souverainistes se disaient que de toute façon, il était concevable de considérer cet accord comme une étape indirecte les rapprochant de l’indépendance. Le sentiment général chez les péquistes : c’était en tout cas ça de pris ; aux yeux des péquistes plus conciliants, ce compromis faisait disparaître pratiquement la nécessité de l’indépendance.

Mais Meech sera saboté. En sous-main par le tandem Trudeau-Chrétien, dont l’ascendant personnel  manipulait en sous-main des élus provinciaux. Ainsi, Frank McKenna, premier ministre du Nouveau-Brunswick, mais également par Clyde Wells, premier ministre du Nouveau-Brunswick. Enfin, par le gouvernement minoritaire du Manitoba. Certains se souviendront de la signature à la plume d’oiseau de l’indien et député  Helijah Harper, signant le refus de Meech.

Bourassa, indigné comme l’ensemble des Québécois, a prononcé à ce moment une parole historique à l’Assemblée nationale : «Désormais, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin.» Jacques Parizeau, alors chef du Parti Québécois, s’est levé en chambre : «Mon premier ministre, je vous tends la main !». Jean-François Lisée, dans Le Tricheur, croit que Robert Bourassa comptait utiliser Meech comme un tremplin vers une négociation avec le fédéral pour obtenir plus d’autonomie.

Lucien Bouchard, élu avec le ras-de-marée créé par Mulroney, est devenu ministre de l’environnement. Bouchard est charismatique, brillant et passionné. Il est fait «tout d’un pain », profondément honnête. Il est révolté par le refus de Meech. On ne peut descendre plus bas que Meech. C’est un compromis-limite. Il n’en peut plus. Il quitte le parti – et rompt ainsi une amitié réelle avec Brian Mulroney. Pour lui, la politique, c’est terminé. Il retournera à sa vocation naturelle, la pratique du droit.

Il est intrigué par un téléphone de Jean-Claude Rivest, conseiller de Robert Bourassa. Celui-ci l’encourage à créer un parti au fédéral pour défendre les intérêts du Québec. Il n’est pas au bout de ses surprises. Bourassa désire le rencontrer. Il ressort de ces deux libéraux provinciaux  que Bouchard pourrait faire élire un député de ce nouveau parti dans Laurier-Sainte-Marie, où le député fédéral Jean-Claude Malépart vient de décéder. Son député serait élu, d’après les sondages que lui confie Bourrassa, à 68 % ! Bouchard, instinctif autant que sincère, se sent appelé par la défense de la nation québécoise. Il accepte. Et Gilles Duceppe, l’individu qu’il a déniché, est élu… à 68 % ! Le Bloc est né. Jean-François Lisée, dans son livre Le Tricheur[1], estimait que «Plus encore que Bourassa, Rivest voit dans l’utilité du Bloc comme un garde-fou contre les offres trop molles du fédéral.». Dans le même chapitre, Lisée montre que pour Bourassa et Rivest, Meech n’aurait été qu’un tremplin pour acquérir plus d’autonomie pour le Québec. D’où leur acrimonie contre les saboteurs de Meech.

Bref, le Bloc Québécois, bloque justement, et certains estimeront tant pour le Québec que le ROC, des réalisations fédérales. Le Bloc, c’est une façon de dire au reste du Canada : «Vous nous avez mesquinement refusé une compromis minimal après avoir voté en catimini une orientation majeure en l’absence de notre représentant. Pourquoi aurions-nous confiance en vous ?» Le Bloc, c’est l’organisation exprimant le refus d’une injustice profonde faite au Québec d’une manière que d’aucuns jugeront fourbe. Bref, c’est le refus pour le Québec de perdre son sens historique tant passé que présent et futur. Le refus de perdre son âme. Bref, au refus de l’acceptation du Québec par le Canada correspond le refus que constitue le Bloc.

D’où la SIXIÈME PROPOSITION OPTIMALE : ON NE PEUT COMPRENDRE LA RELATION QUÉBEC-CANADA SANS COMPRENDRE LES ORIGINES DU BLOC.


 

[1] P. 363. Lisée estimait que Bourassa était à la fois un tricheur (d’où ce premier tome) et un naufrageur (deuxième tome). Plus de 500 pages par tome. Une référence fondamentale.