Montréal

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Donner l’exemple

29-04-2010

Donner l’exemple

Par Catherine Kozminski

Il y a quelques jours, je roulais sur l’autoroute 132 Ouest en direction du cégep où j’enseigne depuis plus de trois ans. Il était très précisément 9h11 et mon cours allait commencer à 9h30. Il faut que je l’avoue, j’allais être en retard. Ayant l’habitude de courir du matin jusqu’au soir, que ce soit en préparant le petit-déjeuner des enfants, mes cours de la journée, le repas du soir, en pliant du linge entre deux copies d’examen, je perçois souvent ma vie comme une piste de course où la ligne d’arrivée correspond à l’heure du coucher. J’ai en aversion la plus totale les gens qui sont en retard, qui se plaignent pour un rien, qui sont désorganisés ou qui oublient dans l’instant ce que l’on vient de leur confier. Étant d’une grande rigidité, je m’impose une rigueur à l’ouvrage que seule l’arrivée des enfants en fin de journée est en mesure de freiner durant quelques heures. Bref, quand je me regarde droit dans les yeux le matin, avant de partir, tout est prêt, à l’ordre, planifié. Je dois donner l’exemple à mes étudiants, à mes enfants et je me donne rarement le droit à l’erreur, sinon que vont-ils penser, qu’adviendra-t-il de leurs repères professionnels ou parentaux ? Du moins, voilà le fruit de mes pensées des dernières années jusqu’à ce que je sois mise à rude épreuve dans mon cœur de maman et d’être humain, impuissante face à l’adversité, face à la maladie de ma fille. Mes repères ne seront plus jamais les mêmes. Maintenant, les deux mains sur le volant, je me demande en quoi consiste réellement le fait de donner l’exemple autour de soi. Qu’est-ce qu’un modèle ? Qu’est-ce réellement que l’inspiration ?

En voyant les voitures ralentir face aux panneaux indiquant une diminution de la limite de vitesse, j’ai brutalement pris conscience que ma perception du rôle social que je m’imposais était biaisée par des stéréotypes de rôle auxquels je tentais par tous les moyens possibles de m’identifier, ceux de la femme parfaite qui allie sans problème le travail à sa famille ou vice versa. Le problème, c’est qu’en voulant donner l’exemple aux autres, j’ai projeté l’image de celle qui s’oublie, que rien n’arrête, que rien n’étonne, comme si tout était prévu d’avance. Hé bien non, justement ! Je me suis alors remémoré l’ouvrage que je redoutais tant de posséder, Éloge de la lenteur de Carl Honoré. Horreur ! Je n’ai que 32 ans et j’ai déjà besoin de ralentir ? Oui, c’est bien cela, ralentir. Apprendre à ne rien faire. Rire des imprévus, des aléas de nos existences d’angoissés, comprendre qu’il n’y a pas toujours de réponse à nos questions. Dans quel monde sommes-nous, dites-moi, à la recherche, aveugles, de notre nombril que l’on appelle communément « le bonheur » ? Non, je ne suis pas dans ma crise de la trentaine. Je ne souffre pas non plus d’épuisement professionnel. En roulant sur la 132, ce matin-là, j’ai compris que lorsque l’on veut donner l’exemple, il faut faire tout ce que l’on peut pour ne pas être parfait, mais surtout accepter cette réalité. Comme le dit si bien Yacine Bellik, « le bonheur n’est pas dans la recherche de la perfection, mais dans la tolérance de l’imperfection ». Sur ces pensées, je suis arrivée à mon cours pour la première fois de ma carrière avec trois minutes de retard. Bah ! Une fois n’est pas coutume.