Le 95e anniversaire du Génocide arménien
par Monseigneur Georges Zabarian
C’est le vingt-quatre avril 1915, dans la nuit, que l’armée et la police turques sont allées chercher plusieurs centaines de personnes arméniennes à Istanbul, pour le seul motif qu’elles étaient l’élite des professions, des hommes d’affaires et des entrepreneurs. Une fois arrêtées, ces personnes furent déportées et exécutées immédiatement, de sorte qu’au lever du jour c’était une chose accomplie.
Une image horrible me vient à l’esprit: c’est l’image de ces pauvres victimes innocentes mais coupables d’être arméniennes et d’avoir réussi leur vie, assassinées par des soldats et policiers qui la veille pouvaient les saluer avec de fausses marques de respect.
Il m’arrive de rêver à notre Arménie historique. Elle a subi tant de transformations pendant que nos ancêtres essayaient de survivre.
Vous me pardonnerez d’évoquer le personnage de Hayk, le héros des Arméniens qui décidèrent de s’appeler Hayk et leur pays Hayk ou Hayastan.
Je pense aussi à l’état unifié d’Urartu qui apparut au neuvième siècle avant notre ère.
Ses habitants construisirent des forteresses, des temples et des palais. Ils travaillaient tellement dans le solide et le durable que l’on peut voir et admirer un de leurs canaux d’irrigation encore utilisé aujourd’hui à Erevan, la capitale de l’Arménie contemporaine.
Je suis triste quand je songe à la conquête de l’Urartu par les Mèdes, puis les Perses. Mais rapidement, Alexandre le Grand, venu de Macédoine, s’empara de l’empire perse en 331 avant Jésus-Christ. Son empire bénéficia aux Arméniens, qui continuèrent leur existence lorsque l’Orontide, l’un des royaumes grecs ayant survécu à Alexandre le Grand, poursuivit son existence en retenant l’Arménie majeure et l’Arménie mineure. Déjà il s’agissait de ‘’Nous’’.
Je pense ensuite à la renaissance de la Grande Arménie qui s’effectua durant le règne de Tigrane le Grand qui sut défaire l’Asie des Parthes, renvoyer les colonies grecques en Médie et soumettre la Syrie et la Palestine, entre autres. Selon ce qu’on a dit, le célèbre orateur romain Cicéron, s’exclama que Tigrane le Grand, un Arménien, un des nôtres, en somme, avait fait trembler la République de Rome. Son empire s’étendait de la mer Caspienne à la Méditerranée. L’Arménie, notre Arménie, était devenue une puissance militaire et avait acquis une grande influence politique. Nous Arméniens avons le droit de regarder ces grandes réalisations avec fierté, comme le fait d’une grande nation.
Dès cette époque, donc, les Arméniens s’étaient fait reconnaître par leur excellence. Mais Dieu fit comprendre aux Arméniens que la conquête et les choses matérielles ne sont pas le tout de l’existence. En effet, Artavazd, le propre fils de Trigane le Grand, fut vaincu par le général romain Antoine qui l’amena enchaîné en Égypte où il refusa de se soumettre à la reine Cléopâtre et fut exécuté. Ainsi disparaît la gloire de ce monde…
De plus, la nouvelle dynastie des Arsacides, un rameau des Parthes jadis défaits par Trigane le Grand, prit le pouvoir et tout le pays se transforma en un espèce de zone-tampon, où les ennemis de jadis, les Romains et les Parthes, s’affrontaient.
Nous avions fait pour ainsi dire un tour complet. Nous ne progressions plus. Mon esprit regarde l’histoire de cette époque comme dans un écran de télévision.
C’est alors qu’il se produisit, bien chers frères et sœurs, un événement d’une grande importance historique: le roi Tiridate III, fut converti au christianisme par Grégoire l’IIluminateur et il s’empressa de proclamer le pays comme premier État à adopter officiellement le christianisme. Il fallait du courage pour cela, car nous avions choisi le Christ alors que nous étions entourés de nations païennes. C’était là un événement capital, puisqu’il se produisit même douze ans avant l’édit de Milan de l’empereur Constantin qui accordait la tolérance envers les chrétiens et le christianisme dans l’empire romain encore païen. Le grand Grégoire l’Illuminateur devint le chef de la nouvelle Église nationale arménienne.
Mais, Chers frères et sœurs, vous aurez compris que des pays voisins regardèrent négativement cette conversion au christianisme et manifestèrent de l’inquiétude. Dans mon écran ressemblant à un téléviseur, je vois que les Perses s’organisèrent pour attaquer l’Arménie à la bataille d’Avarayr. C’est très émouvant : les Arméniens, dirigés par Vardan Mamikonian, furent défaits, écrasés par le seul nombre de leurs adversaires. Nos soldats s’étaient battus comme des lions.
Je suis heureux de vous dire que les choses n’en restèrent pas là  : une guérilla dans les montagnes s’organisa, dirigée par un neveu de Vardan. Les Perses comprirent qu’il valait mieux faire un compromis et ils rétablirent la liberté de culte religieux. Nos ancêtres arméniens avaient encore gagné une victoire ! Nous étions un pays digne de respect.
Après cela, il m’a semblé rêver encore et je vis de grands combats : Byzance avait de nouveau annexé la majeure partie de l’Arménie mais devant la faiblesse de Byzance, un tout nouveau joueur est apparu : les Turcs Seldjoukides sous la direction sans doute d’un Gengis Khan ou autre grand chef, le célèbre conquérant qui détruisait et exécutait tout sur son chemin. Dans mon esprit je voyais les foules d’Arméniens essayant de se réfugier dans le Sud. Nos ancêtres n’avaient pas le choix. Ils s’installèrent près de la Méditerranée et fondèrent le Royaume de Cilicie. Bien chers paroissiens, je revois dans mon esprit, comme dans un rêve, les richesses de l’enluminure arménienne. Les Arméniens de Cilicie prospéraient, mais leurs frères plus au nord et à l’est furent écrasés par une invasion, celle des Mongoles.
Mais le pire n’est pas là . Des massacres atroces par les Turcs à titre préliminaire se produisirent en 1895 et 1896 dans l’ouest de l’empire ottoman entraînant plus de 100 000 victimes et en 1909 de nouveaux massacres se produisirent en Cilicie, faisant environ 30 000 victimes arméniennes.
En revenant à l’année 1915, on sait par les récits de diplomates ou de religieux étrangers, que le Gouvernement des Jeunes Turcs décida la déportation des Arméniens vivant dans le reste de l’Empire. Les ordres furent impitoyablement exécutés.
Bien chers paroissiennes et paroissiens, le chrétien que je suis et les chrétiens que vous êtes sont condamnés à constater les résultats du génocide arménien. Le massacre bien planifié de 1,5 millions d’Arméniens sur les 2,1 millions d’Arméniens se trouvant dans l’Empire ottoman. Par la suite, et je vois cela comme dans un rêve, la plupart des Arméniens survivants furent expulsés de l’Empire ottoman ou bien le quittèrent pour avoir la vie sauve, en abandonnant tout sur place.
Les décisions des organisateurs du génocide sont évidemment condamnables. Les actions qui suivirent ces décisions sont également condamnables. Il reste à évaluer les actions du menu fretin qui accomplirent les basses œuvres.
Tout d’abord, leur obéissance aux ordres d’exécutions ne peut pas être pardonnée mais, si l’on tient compte du fait que les autorités leur avaient fait croire que les Arméniens voulaient renverser le gouvernement du Sultan et de la Sublime Porte, le chrétien peut considérer qu’ils ont agi en obéissance aux ordres qu’ils pouvaient croire légitimes.
Si l’on considère les innombrables exactions et gestes de cruauté par des exécutants contre les populations déportées, le chrétien peut difficilement leur pardonner et il s’en remet à Dieu.
Le chrétien reste incapable de comprendre comment des atrocités de ce genre ont pu être commises malgré le fait que Dieu, un Dieu qui a pu envoyer Son Fils assumer la Personnalité humaine, existe. Dieu a-t-il voulu le génocide arménien ? Non et ce serait un sacrilège que de le croire.
Il faut plutôt croire que Dieu ayant créé l’homme comme un être doté de liberté, il n’intervient pas dans les guerres et les différents combats et actions cruels commis par les hommes : ce sont des abus de la liberté humaine.
C’est un grand mystère très pénible pour le chrétien à comprendre et à accepter.
D’autres événements douloureux pour nous Arméniens se produisirent après la première Grande Guerre : du 28 mai 1918 à 1920 eut lieu la proclamation de la Première République arménienne, mais elle n’aboutit pas. Le traité de Sèvres avec l’Empire ottoman contenait un projet de reconnaissance de l’Arménie historique, c’est à dire les provinces orientales de l’Empire.
Mais, en 1921, l’Arménie, une Arménie sevrée de ses provinces de l’est, fut crée et intégrée à l’URSS.
Le 21 octobre 1921, le traité de Kars adoptait les frontières entre le Turquie et la Russie de 1887, mais il laissait en suspens la question de l’Arménie turque.
En 1923, autre coup dur pour les Arméniens, le traité de Lausanne, qui remplaçait celui de Sèvres, reconnaissant les frontières de la République de Turquie telles que proclamées par Mustafa Kemal, dit ‘’Atatürk’’ ou ‘’le grand Turc’’. L’Arménie n’était pas reconnue par le traité. La fin d’un grand rêve pour nous Arméniens…C’est très pénible pour nous Arméniens.
Mais, durant la période allant de 1947 à 1948, on a constaté le retour en Arménie soviétique de quelque 200, 000 Arméniens de la Diaspora.
Vous et moi, Chers frères et sœurs, après cette représentation de l’histoire arménienne, nous devons faire face à tous ces défis à la compréhension humaine et, en même temps nous sommes toujours portés vers la prière et la contemplation dirigées vers Dieu.
Prions le Seigneur et le Saint-Esprit car c’est là ce qu’il revient à faire pour les humains.
Devant Dieu, nous sommes très petits, et tout ce que nous pouvons faire, en dernière instance, c’est de prier et de nous rapprocher ainsi dans le mystère de Dieu.
Chers frères et sœurs, je vous bénis du fond du cœur. Que le Seigneur vous protège et vous accorde longue vie à faire le bien.
P. Georges Zabarian