par Carle Brabant
À la recherche d’un nécessaire consensus
Il y a des sciences qui ne peuvent pas se passer de consensus, On retrouve là des disciplines qui cherchent à englober d’entrée de jeu une vision large du réel étudié.
On les qualifie de « Sciences » parce qu’elles se fondent toutes sur des données d’observations du réel. Mais elles entretiennent une vision hollistique de ce réel. C’est à dire: un réel avec toute sa complexité.
On y retrouve la psychologie, la sociologie, l’économie, l’histoire, l’anthropologie … Cette liste n’est pas exhaustive et ne sert qu’à évoquer une multiplicité d’objets d’études.
Ces sciences « humaines » s’apparentent aux sciences « dures » dans le partage de divers outils mathématiques et techniques avec les idèalistes et des pragmatiques.
Cependant, elles s’en démarquent considérablement en faisant une large place à la notion de consensus.
Il y a de très bonnes raisons à cela.
Pour avoir une vision complète d’un sujet qu’il désire étudier, le chercheur en sciences humaines a l’obligation de considérer tout un ensemble de paramètres pertinents. La rigueur lui impose de les considérer tous.
C’est là que les difficultés commencent.
Il peut y avoir des synergies entre plusieurs paramètres. Il peut aussi exister des interactions antagonistes. À priori, il est quasi impossible d’isoler les paramètres les uns des autres. On ne peut pas faire varier un seul paramètre à la fois en maintenant les autres constants. L’objet d’études ne s’y prête pas.
Pour surmonter des difficultés inhérentes à la nature même des sujets d’études, il est normal d’introduire des éléments de concertation et de collaboration entre les chercheurs.
Un dicton le verbalise: « Deux têtes valent mieux qu’une! ». C’est vrai. On peut travailler en équipe réduite lors d’une phase préparatoire. La cueillette des données peut demander des ressources plus considérables et faire appel plusieurs personnes. Le traitement des informations recueillies exige des outils et un mode de fonctionnement particuliers selon l’étude réalisée. La taille des équipes peut donc grandement fluctuer mais l’aspect participatif du travail demeure.
L’analyse, les conclusions et les recommendations ne peuvent pas reposer sur une seule personne. À cause de la complexité générale des objets d’études, on cherche à déterminer des tendances, des corrélations et faire éventuellement des extrapolations. On en discute avec les pairs.
Or, une corrélation n’est pas nécessairement un facteur causal. Elle peut n’être qu’une coïncidence. La validité d’une extrapolation va dépendre de la pertinence du ou des facteurs causals retenus… Parmi l’ensemble des paramètres évalués, tous n’ont pas la même importance. Les « Sciences Humaines » ne sont pas des sciences exactes.
En « Sciences Humaines », les conclusions qu’on peut tirer d’observation portant sur 100 individus ne valent pas grand chose par rapport à celles d’une étude impliquant 10 000 personnes. De la même manière, les conclusions d’un seul chercheur n’ont pas grand poids par rapport à un consensus de l’ensemble de ses pairs.
En « Sciences Humaines », il est inconcevable et même invraisemblable d’être « Seul contre Tous ». Les Galilėe, Newton, Lavoisier, Einstein ou Hawking, ces géants aux idées singulières, n’y ont pas vraiment une place. L’individu est susceptible d’errer. Il faut nécessairement obtenir l’assentiment des pairs.
Cela découle de d’une conception intuitive mais valable de la notion de mesure et de la probabilité que cette mesure soit exacte. Intuitivement, c’est une bonne chose de reprendre une même mesure plusieurs fois et d’en faire la moyenne.
Mathématiquement, il est tout à fait exact d’affirmer que la multiplicité de mesures d’un objet augmente la précision de la mesure de cet objet.
Mais ça ne signifie pas que le résultat est exact. C’est flou dans votre tête, n’est-ce pas? Une mesure peut être précise mais inexacte. Pour vous mélanger un peu plus, une mesure peut être exacte mais imprécise, Essayons d’éclaircir ça,
Supposons qu’on construise un mur en utilisant un mauvais niveau. Tous les colombages pourraient être parfaitement alignés mais le mur pourrait être penché. Les façades de beaucoup de maisons d’Amsterdam sont penchées.
Les façades ne sont pas en zigzag. Ces maisons n’ont pas « travaillé ». Elles penchent vers l’avant mais elles ont été construites comme ça. Pour optimiser l’empreinte au sol, les maisons traditionnelles d’Amsterdam sont étroites et hautes. Les escaliers intérieurs peuvent n’avoir que 70cm de largeur.
Comment fait-on pour les meubles?
C’est simple! On fixe une poulie à la poutre en saillie tout en haut. On attache les meubles avec une corde, on les grimpe par l’extérieur et on les entre par les fenêtres. Par rapport à la verticalité, il y a une « erreur » systématique de quelques degrés pour ne pas endommager les meubles en les hissant.
En résumé, si notre appareil de mesure est faussé ou si on s’y prend mal, mais toujours de la même façon, le résultat sera précis mais faux.
Je vais tenter d’illustrer un autre genre de mesure à l’aide d’un exemple concret: la vente d’une maison unifamiliale en banlieue par son propriétaire. La maison de banlieue typique avec son terrain, une piscine, un garage…
Quand on veut vendre sa maison, pout établir le prix demandé, on la fait évaluer. Ce ne serait pas très prudent de ne se fier qu’à une seule évaluation. Deux évaluations, ça ne fonctionne pas trop bien: c’est pile ou face. En général, les gens prudents font faire trois évaluations. On peut alors prévoir une valeur plus basse, une plus élevée et une évaluation entre les deux. Cela peut rendre perplexe notre vendeur insécure. Il se paie cinq évaluations. Cela peut rend Évaluation de la maison située au 10 Place des Seigneurs
Série 1 Série 2 Série 3
Évaluation 1 500 000 535 000 510 000
Évaluation 2 530 000 545 000 515 002
Évaluation 3 550 000 550 000 640 000
Évaluation 4 570 000 550 000 650 000
Évaluation 5 600 000 600 000 900 000
Je reviendrai sur la sélection des mandataires un peu plus loin. Disons, pour le moment, que le premier évaluateur est un ami, un autre est expert en sinistre pour une compagnie d’assurances, un autre est évaluateur pour une municipalité et les deux autres, des agents immobiliers.
Après 2 semaines, le vendeur reçoit les rapports d’expertises. Il se peut qu’on assiste à 3 séries disparates de valeurs. Je les mets en tableau:
https://courrielweb.videotron.com/iwc/svc/wmap/attach/IMG_0662.jpeg?token=X9kRHV7urS&mbox=INBOX&uid=95323&number=4&type=image&subtype=jpeg&process=html%2Cjs%2Clink%2Ctarget%2Cbinhex
Que pensez-vous de ces ėvaluations? Existe-t-il une valeur exacte pour l’évaluation d’une maison? Peut-on se fier à un évaluateur? Peut-on prendre une décision pour un prix de mise en marché? Si oui, quel sera le prix demandé?
Il n’y a pas grand chose à tirer de la première série. Les valeurs varient sans qu’on puisse trop savoir pourquoi. On n’y décèle pas une qualité souhaitable: la cohérence des valeurs entre-elles. On ne voit rien qui semble reproductible. Cette série d’évaluations ne m’avancerait pas trop, personnellement.
La deuxième série me semble meilleure. Les évaluations ne varient pas tellement d’un expert à un autre sauf la dernière qui me plaît beaucoup mais pourrait être irréaliste. La plus basse évaluation me déprime un peu. En éliminant les 2 valeurs extrêmes, haute et basse, il me semble que ça fait du sens.
La troisième série me désarçonne. On dirait que les experts ont évalué 3 maisons différentes: une maison bon marché, une maison ordinaire et un petit château. Je n’en ai pas confiance.
Si j’étais le propriétaire insėcure de cette maison, confronté à la nécessité de prendre une décision, je me baserais sur la deuxième sėrie d’évaluations en espérant conclure la vente aux environs de 555 000$ tout près de l’évaluation moyenne. Pour me laisser une marge de négociation, je majorerais cette valeur moyenne d’à peu près 10% et demanderais 614 900$. C’est un chiffre rond très inférieur, psychologiquement, à 615 000$!
Il y a lieu de rigoler un peu sur ce que représente la valeur d’une maison selon son emplacement et la perception des évaluateurs. Il y a plus pertinent que cette caricature mais je ne la retrouve pas:
L’évaluation d’une maison n’est pas une science exacte. Il faut attacher une très grande importance au site. La maison ci-haut vaut beaucoup plus cher les jours où il n’y a pas d’activité industrielle. On pourrait dire la même chose pour une maison à proximité d’une ferme. Tout dépend du sens du vent.
L’évaluation d’une maison peut aussi être sujette à un biais de perception de la part de l’évaluateur comme de la part du propriétaire.
L’ami voudra vous faire plaisir et surestimera la valeur de votre maison.
La municipalité voit dans votre maison une source de revenus de taxation. Plus la valeur foncière est haute, mieux la municipalité se porte.
Le banquier voit votre maison comme un risque financier, cherchera à le minimiser et voudra s’assurer d’une grosse équité en cas de reprise bancaire. Le banquier sous estimera la valeur de votre maison. Son intérêt lui dicte de vous accorder le plus petit prêt au plus haut taux.
L’agent d’immeuble, au contraire, vous fera miroiter un prix de vente alléchant pour que vous lui accordiez le mandat…
Pas vraiment facile d’avoir l’heure juste dans un monde rempli de conflits d’intérêts et où l’honnêteté est à géométrie variable. Il faut aussi tenir compte d’un facteur qui influence grandement le comportement humain: la conjoncture.
Les populations humaines ont très mal vécu les confinements durant la crise COVID. Quand elles en sont sorties, cela a généré un engouement temporaire vers les maisons en banlieue avec de l’espace extérieur. il y a eu des surenchères et plusieurs ventes se sont conclues à un prix supérieur au prix initial demandé. En examinant les évaluations de la série 2 du tableau précédent, on pourrait dire qu’un des experts a été le seul à bien évaluer la conjoncture. Il avait évalué la maison à 600 000$. Il pourrait tout simplement avoir été incompétent mais chanceux.
Pour revenir à la notion de valeur et à une recherche de la valeur exacte, un chercheur en sciences humaines sera heureux d’obtenir, pour une réponse unique, des valeurs peu dispersées avec un écart-type le plus petit possible. S’il recherche une tendance, il aimerait des valeurs qui s’éloignent le moins possible de la fonction mathématique qu’on peut tracer entre les points. Cela se traduit par un coefficient de corrélation qui devrait être le plus près possible de 1,00000000 l’accord parfait entre les points expérimentaux et la fonction.
On pourrait aussi exprimer qu’en « Sciences Humaines », on remplace un peu la notion de vérité par une très grande probabilité de vérité. C’est pour cela que le concept de validation par les pairs y tient une place si importante. C’est le fondement utilisé en « Sciences Humaines » pour garantir la confiance dans les modèles qu’elles proposent.
Les « Sciences Humaines » sont très imparfaites.
L’histoire excelle à nous expliquer les guerres, les révolutions du passé, mais peine a prédire les bouleversements à venir. On dit que « L’Histoire se répète! ». C’est passablement vrai. Les famines, par exemple, entraînent des troubles sociaux. L’historien, au présent, voit bien les nuages noirs s’accumuler mais s’avoue incapable de déterminer la date de l’ouragan social à venir ni de déterminer quelle sera l’élément qui le déclenchera.
Les économistes déçoivent aussi. Ils nous expliquent d’une manière très convaincante le krach boursier de 1929 et la grande dépression des années ´30. Il sont néanmoins incapables de dire la date du prochain krach boursier même si c’est une certitude que cela va éventuellement arriver,
Si des cause semblables entraînent des effets semblables, qu’est-ce qui explique leur peu de succès quand les « Sciences Humaines » s’intéressent au prėsent?
Les raisons sont multiples. Je vais en esquisser quelques-unes. Je ne les développerai pas. Ce texte est assez long déjà et le développement des pistes d’explications allongerait la lecture bien au-delà d’une limite raisonnable.
« Errare humanum est! » « L’erreur est humaine! » aurait sans doute pu dire Bernard Landry, économiste et ancien premier ministre, friand de locutions latines à ses heures. J’ai fait exprès pour l’écrire en latin parce que le problème ne date pas d’hier.
À supposer une honnêteté intellectuelle irréprochable de tous les chercheurs qui se penchent sur une question, les similitudes avec le passé ne s’appliquent jamais intégralement au présent. Ce ne sont que des similitudes, jamais une reproduction exacte d’événements passés.
À supposer également qu’on a cherché à considérer tout ce qui pourrait être causal, synergique ou antagoniste, quelle valeur peut-on ou doit-on accorder à chacune des variables de l’étude?
Au présent, cela me semble quasi insurmontable
Aux paragraphes précédents, j’ai établi des préalables qui sont éminemment discutables. L’honnêteté des chercheurs et la liberté académique qu’on leur accorde sont des notions floues.
Ils peuvent fort bien ne pas avoir une grande motivation pour aller au fond des choses. La tentation d’omettre certaines variables pourrait être très forte. Les chercheurs peuvent subir des pressions. Il est très difficile de travaillere sans concessions aucunes, ni méthodologiques, ni économiques. Le pragmatisme qu’on pourrait leur imposer est incompatible avec des idéaux d’excellence.
Vous comprenez pourquoi je ne développerai pas ces points dans le présent texte. Ça pourrait l’être dans un texte suivant si je trouve les mots justes et la patience de les écrire. Chacun des points peut expliquer, à lui seul, l’obscurcissement de notre boule de cristal imaginaire. Celle qui nous ferait voir l’avenir.
Après tout le mal que je viens d’en dire, vous serez vraisemblablement ėtonnés devant l’affirmation suivante:
Les « Sciences Humaines » sont essentielles à l’humanité
La psychologie aide les humains à vivre. Elle leur redonne souvent l’estime de soi. Sans un minimum d’estime de soi, notre vie n’a pas de sens et le suicide devient une solution désirable à la détresse.
Le marketing rend des services essentiels aux entreprises. Il serait idiot et même téméraire pour une entreprise de lancer un nouveau produit sans avoir fait, au préalable, une étude de marché sérieuse.
Je pourrais certainement trouver des applications utiles à toutes les disciplines qu’on retrouve dans le champ des « Sciences Humaines » mais je pense que vous pouvez en visualiser plusieurs.
Le cöté sombre
Malheureusement, les « Sciences Humaines » ont aussi leur côté sombre. Très sombre même. Noam Chomsky à beaucoup écrit sur la « Fabrique du Consentement ».
Les « Sciences Humaines » ont développé des outils très performants pour inculquer des idées dans la tête des gens et générer les comportements souhaités . En principe, on pourrait utiliser ces outils pour convaincre les gens et les faire adhérer à des croyances bénéfiques. Les nouvelles croyances se traduiraient par la suite en engagements concrets.
C’est très dangereux quand on confie à une autorité le soin de dėterminer ce qui est faux de ce qui est vrai. De décider du bien et du mal. Les gouvernements peuvent se muter en agents de propagande et exercer un contrôle totalitaire sur une population entière.
Ce n’est pas de la paranoïa. Les paragraphes suivants sont un copier-coller pris sur Wikipedia. Il se peut même que les liens de l’extrait soient toujours actifs.
Un usage condamnable, la contribution de Joseph Goebbels
Nazi notoire et proche d’Adolf Hitler, Joseph Goebbels fut, avec Hermann Göring et Heinrich Himmler, l’un des dirigeants les plus puissants et influents du Troisième Reich.
Du fait de son action de 1933 à 1945 au ministère de l’Éducation du peuple et de la Propagande, son nom reste indissolublement lié à l’emploi des techniques modernes de manipulation des masses, et un modèle pour la propagande des États totalitaires.
Il a, hélas, très bien réussi à asservir l’esprit des allemands.
Merci de m’avoir lu.