La « Science », trois traits de caractères et des facteurs humains
par Carl Brabant
Beaucoup de gens se disent scientifiques en oeuvrant dans des champs aussi éloignés les uns des autres que l’astrophysique et la paléontologie.
L’adjectif « scientifique » confère un certain prestige et augmente la crédibilité des propos allégués. Une expression comme « La science dit que… » invite à taire toute objection. Il y a pire! On a entendu: « La science s’exprime par ma bouche… » Quoi de moins scientifique que ces propos! Visiblement, le vocable « Science » se prête à diverses interprétations et nuances.
Des méthodes et des traits de caractères très variés distinguent les divers scientifiques. Les lettres RGB correspondent à trois couleurs primaires (Red, Green et Blue) à partir desquelles on peut fabriquer toutes les couleurs. Par analogie, on pourra déceler trois traits de caractères chez les scientifiques: l’idéalisme, le pragmatisme et le degré d’individualisme. Voici donc le premier de trois textes qui pourraient se diviser comme suit:
- Les idéalistes et les pragmatiques
- Les chercheurs de consensus
- Quand la science se bute à des facteurs humains
Avant d’aborder le premier module, il est nécessaire de faire un constat: la « Science » est essentiellement amorale, ni bonne, ni mauvaise. Elle s’applique à découvrir, décrire et démonter les mécanismes du monde réel. Ses avancées peuvent entraîner la création d’outils.
On utilise parfois la science à des entreprises admirables.
On utilise aussi la science à des fins condamnables.Â
Le scientifique développe accessoirement des outils mais il est parfois obnubilé par une quête de savoir sans l’accompagner d’une réflexion sur des utilisations pratiques de ses recherches. Ce qu’on fait de ses recherches ne lui appartient pas. Les applications peuvent avoir des conséquences catastrophiques insoupçonnées par le chercheur. Le chercheur s’avère donc parfois un indécrottable naïf.
Parmi les scientifiques, il y a les idéalistesÂ
Ceux-là recherchent un accord absolu entre les éléments de leurs corpus spécifiques et les constats du réel. Cela concerne les sciences « pures ».
Ce raccord est absolu en mathématiques et quasi absolu dans les sciencez « dures »: physique, chimie, biologie
Les mathematiques sont intraitables sur le sujet. Il suffit d’un seul contre-exemple pour démolir ce qui espérait passer pour un théorème.
Tant qu’une conjecture n’a pas été démontrée, elle n’est pas élevée au rang de théorème.
Si la conjecture est infirmée, elle tombe, tout simplement.
Les autres sciences « dures » introduisent un caractère pragmatique dans leurs corpus respectifs.
Par exemple, Isaac Newton a développé un modèle qu’on nomme « Mécanique Classique ».
Ce modèle a montré des lacunes: des observations que le modèle est incapable d’expliquer.
Le physicien va continuer à utiliser un modèle déficient, faute de mieux, tout en cherchant activement un modèle plus performant.
Il va même sciemment utiliser un modèle, déficient dans l’absolu, mais correct à l’intérieur de balises précises. On n’a pas besoin de la Théorie de la Relativité pour calculer l’orbite d’un satellite autour de la Terre.
Le chimiste imite le physicien dans l’étude des liaisons chimiques.
Le trait commun de ces idéalistes c’est, qu’au delà de la validation des données expérimentales, ils n’ont rien à cirer des consensus.
Pensons à Galilée, seul contre tous.
Il y a des scientifiques pragmatiquesÂ
Ceux-ci oeuvrent en sciences appliquées comme les différentes disciplines du génie et la médecine, par exemples.
Si un objet, une réalisation,  un traitement rencontrent des critères de qualité appropriés, tout est parfait.
En corollaire, un défaut qu’on ne peut pas mesurer n’existe pas.
Même chose pour un rejet toxique. Il est considéré insignifiant quand il est inférieur à une norme établie.
La médecine a sensiblement la même approche.
Si un patient ressent un malaise, le médecin fait passer une batterie de tests. Si tous les paramètres mesurés sont à l’intérieur de valeurs cibles, on le déclare en bonne santé.
Si le patient persiste à exprimer un malaise, on peut reprendre certains tests et en administrer des plus poussés. Il est fort possible qu’on ne trouve rien. Le patient est alors déclaré hypocondriaque.
Un peu comme l’ingénieur, le médecin questionne rarement la valeur des limites qui définissent un paramètre « normal ».
Un chimiste ne voit pas les choses sous le même angle.Â
La vitamine C se nomme aussi « Acide ascorbique ». Cela signifie littéralement:  un acide qui permet d’éviter le scorbut. C’est facile d’évaluer une carence. Ça se voit..Â
C’est là que le chimiste arrive avec ses questions « stupides ».
- D’où sort la quantité recommandée?
- Peut-on en prendre trop ? Quel est le maximum? Pourquoi?
- Est-ce qu’il y aurait une dose optimale? Combien?
Imaginons par hypothèse que le médecin répond à la première question. J’en douterais parce que je ne vois pas ça dans le manuel Merck.
On donne des valeurs selon l’âge, le sexe…
J’y ai vu qu’on détecte une carence à l’aide de symptômes clinniques comme une genvivife.
Pour une quantité excessive, là aussi on mentionne des symptômes cliniques.Â
La quantité recommandée serait donc une quantité telle qu’on n’observe ni symptôme de carence, ni symptôme d’excès.
On est très loin de la recherche d’une quantité optimale. Il semble qu’en génie, comme en médecine, quand ça fonctionne, on ne pose pas de questions. D’ailleurs, pour ce genre d’esprit, c’est inutile et c’est une perte de temps.
Pour les pragmatiques, on peut songer à une optimisation économique, à une pollution tolérable selon des normes négociées avec des autorités…
Pour le reste, il y a d’autres sujets considérés plus importants. Il y a fort peu d’ouverture pour le pelletage de nuages. Bref: autre question svp.
J’ai omis sciemment de parler de secteurs d’activités qui appartiennent simultanément à plusieurs modes de pensée. En architecture, par exemple, il y a des objectifs esthétiques dont je n’ai pas parlé. Cependant, une création architecturale doit avoir des aspects fonctionnels et pouvoir être construite.
Il y a des spécialités médicales qui ont, à la fois, des dimensions très pragmatiques, débouchent sur des traitements, des recommendations, une médication, et qui demandent simultanément une approche hollistique les rapprochant des sciences humaines. Par exemple, la psychiatrie ou l’épidémiologie.
Quand il est impossible d’isoler plusieurs facteurs les uns des autres, quand il n’est pas évident de distinguer des causes profondes par rapport à des effets synergiques, cela appelle des débats. On essaie de dégager des consensus. Cela fera l’objet du texte suivant: