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FREUD, HARRIS ET LES PARTIS POLITIQUES

23-10-2019

FREUD, HARRIS ET LES PARTIS POLITIQUES

par Michel Frankland

L’article qui va suivre s’inscrit dans la foulée des 4 ou 5 derniers édités par Le Carrefour des opinions.

Un bref rappel. Freud décrit les trois composantes psychologiques de l’être humain.

Le ÇA est l’instance du plaisir : sexualité, agressivité, gourmandise.

Le MOI représente l’instance de la raison : jugement, pensée logique, capacité d’analyse.

Le SURMOI se réfère aux principes moraux, aux lois régissant les mœurs.

 

Je vous ai déjà parlé de Harris. En 1969, il publie un livre qui a fait époque, marqué par le génie de la simplicité. Les trois instances freudiennes représentent les trois âges de la vie. L’auteur montre par le fait même les composantes sociales et positives de ces trois instances. Le ÇA équivaut à l’enfance. Il est naturellement enthousiaste et le communique instinctivement Le MOI, l’adulte en nous, nous amène à des décisions objectives sur les diverses situations que nous vivons. Il jauge efficacement les divers aspects des difficultés que nous rencontrons périodiquement. Le SURMOI constitue le parent en nous. Il est axé sur l’observation fidèle des diverses directives morales qui, tant au niveau civile que psychique ou spirituelle, nous permettent une vie vertueuse.

 

Nous sommes le 23 octobre 2019. Nous sortons de l’élection fédérale d’il y a deux jours. Les caractéristiques humaines exposées plus haut nous éclairent sur l’attitude politique des différents partis.

 

Le Parti Libéral m’est toujours apparu, et clairement comme une formation politique dont la composante parent est passablement absente. Justin Trudeau possède à un haut degré les qualités de l’enfance. Charmant, séduisant aussi bien que séducteur de foules, il génère un enthousiasme électoral fructueux en votes favorables. Il est aussi un adulte qui analyse efficacement les thèmes sociaux à traiter et les images qui les feront le mieux passer. Je précise tout de suite cependant qu’il n’a pas la vigueur analytique de son père. Mais les vertus de l’adulte constituent un atout majeur de ce parti. Il a donc été bien entouré.

 

Par comparaison, on constate chez les autres partis, passablement de convictions socio-politiques ; les libéraux m’apparaissent davantage motivés par des intérêts. Ce parti possède les vertus naturelles aux businessmen. Les autres partis, à divers degrés, vivent davantage de convictions. Cela leur fournit plus de feu politique… mais il leur arrive d’être tellement fixés sur leurs convictions qu’ils s’imaginent que cela tient lieu de tactique. Alors que les libéraux sont passablement dégagés des principes moraux et se concentrent sur l’efficacité. Ils instruiront leurs bénévoles de manière beaucoup professionnelle que les autres partis. Ils se monteront le mieux possible, pour chaque comté, un impressionnant dossier sur les orientations de chaque votant, fort utiles pour faire sortir le vote favorable.

 

Le Parti Conservateur, pour l’essentiel, constitue un adulte et un parent. S’il recelait aussi les vertus de l’enfant et sa puissance à générer la ferveur, il n’aurait sûrement pas choisi Andrew Sheer comme représentant. Le pouvait-il ? Difficilement. Il nous arrive ce qui nous ressemble. Le seul chef de ce parti à avoir les vertus de l’enfance – et à un degré remarquable – fut Brian Mulroney1… Mais il était originaire du Québec, lequel génère naturellement les qualités de l’enfance. Nous sommes à l’aise avec nos émotions. Elles font clairement partie, beaucoup plus que le ROC, de nos valeurs de fond. En Brian Mulroney s’unissaient avec une redoutable efficacité les trois puissances évoquées dans cet article.

 

Au Bloc, Yves-François Blanchet a manifesté un bon équilibre de cette triple qualité. Cela est évident, je n’insiste pas. Je note cependant une légère carence, propre d’ailleurs à l’ensemble de la nation québécoise : le fait de croire que des éléments de notre spécificité, évidents pour nous, seront automatiquement compris par le ROC. En écoutant les bonnes têtes politiques du ROC, je pus confirmer que notre choix clairement majoritaire de la laïcité n’a jamais, sauf erreur, été nettement expliqué. Pourtant, quelques lignes suffisent à cela : POUR LA NATION QUÉBÉCOISE, COMME POUR LA FRANCE ET BIEN D’AUTRES PAYS, LA SOCIÉTÉ N’EST PAS UN VAGUE CONCEPT, MAIS UNE VALEUR COLLECTIVE, UN ÉLÉMENT VITAL DE LA NATION, QUI CRÉE UN ÉCHANGE FRUCTUEUX AVEC LES CITOYENS, SI BIEN QU’IL Y A ÉGALEMENT UNE LIBERTÉ COLLECTIVE QUI SE COORDONNE NATURELLEMENT AVEC LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES.

 

Le NPD brille par les vertus de l’enfance : « Nous sommes un parti de cœur, et moissons du même champ. Nous sommes pour les simples citoyens, nous les défendons contre les abus des riches. » Jagmeet Singh n’avait pas une équipe aux vertus d’adultes suffisamment bien constituée. Si bien qu’il a versé dans des simplifications devenues évidentes pour l’ensemble des électeurs. Il demeure que nous voyons un résultat somme toute passablement meilleur que l’hécatombe prévue par plusieurs. C’est qu’un être humain, et donc l’ensemble des électeurs, est un océan d’émotions. Mon garagiste avait remarqué que « les gens vont oublier ce que t’as dit. Ils vont oublier ce que t’as fait, mais ils n’oublieront pas les émotions que tu as suscitées en eux. »

 

Maxime Bernier et son PPC a généré une certaine sympathie pour l’effort immense d’avoir trouvé des candidats dans pratiquement tous les comtés. Comment se fait-il qu’il n’a pas fait mieux ? Ses écrits étaient enthousiastes – les vertus de l’enfant y étaient. Mais ce qui lui a manqué, c’est la subtilité de l’analyse. L’adulte en lui s’est conduit trop comme un bûcheron que comme un fin ciseleur. Trop cru, au sens de crudité. De crier haut et fort qu’il ne croit pas au réchauffement climatique alors que c’est une valeur incontournable d’une vaste majorité. Et de même d’autres affirmations, comme l’abolition des quotas de lait – excellent rappel pour être battu dans son comté. Il lui a gravement manqué d’analyse. Toute vérité n’est pas bonne à dire ! Ce proverbe n’a rien d’hypocrite. Jésus affirme autrement la même chose : « Soyez bons comme une colombe mais prudents comme un serpent ! » Faut-il le répéter, l’être humain est un océan d’émotions et les mots sont des grenades.

 

Je n’insiste pas sur les VERTS. Madame May, malgré la sympathie qu’elle inspire, s’est montré bien en dessous des aptitudes pour gérer un parti. Et pourtant, les Verts rejoignaient une conviction largement partagée…

1 Stephen Harper m’est toujours apparu comme un politicien assez complet – avec cependant un lourd penchant vers le Parent, ce qui l’a ultimement coulé.