Montréal

Nouvelles

FAKE PRESIDENT

18-08-2018

FAKE PRESIDENT

 

par Michel Frankland

Dukakis, candidat défait à la présidence américaine de 1988, formula plus tard des regrets sur la campagne. L’un d’entre eux consiste dans le fait de ne pas avoir répondu aux objections sans valeur réelle, primaires, voire franchement ridicules.

Les Démocrates, groupe plus à gauche, penchent naturellement vers l’idéal et l’honnêteté. Des Don Quichotte. Les Républicains, plus proches de Sancho Pansa, sont plus terre à terre et plus près des réalités concrètes. Plus retors. Ils savaient d’instinct que les nobles esprits démocrates n’allaient pas répondre à des arguments triviaux et insignifiants, Mais ils étaient assurés que le peuple décoderait cette absence de réponse comme un aveu d’incompétence. Ce qui se produisit. Dukakis menait ; soudain, il était en train de perdre !

Lesley Stahl, comme jeune journaliste à 60 Minutes, vécut une expérience analogue à celle de Dukakis. Elle se rend compte que Reagan vient de commettre une bourde évidente et majeure. Elle s’arrange rapidement pour l’interviewer sur ce sujet. Il est agréable et fricote une réponse. Le lendemain, elle reçoit un appel du bureau officiel du Parti Républicain. Elle va y gouter, pense-t-elle. Non, on la félicite !… Et on lui rappelle une évidence. Le peuple a une intelligence limitée. Il a vu le président se faire interviewer et répondre calmement et gentiment aux questions. Un excellent président. Faut-il rappeler, en ce sens, qu’environ seulement 14 % des citoyens des pays civilisés, éduqués, peuvent comprendre un éditorial…

Une application en ce début d’automne 2018 : alors que la corruption trumpéenne insiste pour la fin de la commission menée par Muller, j’aurais aimé qu’en conférence de presse, on rappelle à Sarah Sanders que les commissions de ce niveau se sont étalées sur plus de mille jours.

Le personnel de CNN réagit souvent avec aplomb. Équipe brillante de journalistes et commentateurs, elle montre clairement les multiples carences politiques, humaines et morales du monstrueux président. L’auditoire de CNN s’avère évidemment capable de saisir ces arguments. Pourtant, Trump, malgré ses 4000 mensonges recensés depuis sa présidence, ses invectives contre les journaux – « fake news ! » répète-t-il souvent – se tire pas si mal en termes de vote populaire.

Il demeure que CNN fait de l’excellent travail. Entre autres, en interviewant deux sortes de spécialistes et personnes publiques. Les experts en loi et membres du Congrès contre Trump (dont certains Républicains) témoignent solidement contre le monstre. L’autre groupe, des gens favorables à Trump, permettent aux téléspectateurs de constater leurs arguments poreux et tordus.

Pourtant, les citoyens favorables à Trump n’ont pas le quotient pour trouver quelques intérêts à s’abonner à CNN. Si bien qu’ils demeurent imperméables à toute critique contre leur idole. Une formule lapidaire résume le problème. ILS SONT TROP STUPIDES POUR COMPRENDRE QU’ILS SONT TROP STUPIDES POUR COMPRENDRE !

Certains connaissent la valeur philosophique de Hannah Arendt. Elle explique brillamment la mécanique utilisée par le dictateur pour se maintenir au pouvoir. Il lave le cerveau des 20 % les moins intelligents de la nation et leur répète inlassablement des slogans vides sur son propre génie politique et leur remarquable intelligence. Mais justement, le dictateur doit condamner tout ce qui n’est pas « le bon peuple ». Si bien que les slogans portent un thème majeur : l’exploitation du bon peuple par les intellos libéraux. Enfin, le peuple se fait convaincre qu’il est intelligent. Mais, s’estimant trompés et exploités par la junte médiatique et les grands de ce monde, et ayant enfin trouvé un chef qui les appuie inconditionnellement, ils peuvent maintenant cracher leur venin sur cette classe dominante par rapport à laquelle ils se jugeaient inférieurs. Mao, Hitler, Trump, mêmes réflexes…

D’où le FAKE NEWS, slogan répété à satiété par Trump. On se souvient du roman précurseur, 1984, et la « Novlangue » qui appuyait le contrôle collectif.

Il m’apparait urgent que les démocrates et autres esprits honnêtes d’obédience républicains usent d’arguments, décents certes, mais plus vigoureux. Par exemple, de répéter l’évidence : le président est un FAKE PRESIDENT.