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LA FIXATION

26-10-2017

LA FIXATION

 

 par Michel Frankland

La fixation désigne un réflexe psychologique qui bloque notre adaptation sous un rapport donné. Elle peut être personnelle. Il y a probablement, dans la vie de chacun de nous, des éléments de fixation. Nous ne les reconnaissons pas toujours. Mais il serait difficile, eu égard aux multiples cas de son application, dans dresser un tableau passablement complet.

Il m’apparait plus intéressant, et plus profitable, d’inventorier des fixations dont sont marquées quelques communautés.

Au niveau religieux – et ceci s’applique particulièrement au Québec d’avant la Révolution tranquille, l’Ave à la Vierge Marie comporte une formule surannée, mais encore employée presque exclusivement dans les récitations du chapelet. « … et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. »

Pourtant, l’archevêché de Montréal a insisté, il y a une douzaine d’années, pour l’emploi du qualificatif de « votre enfant » pour qualifier Jésus. On nous invite à parler un langage normal à la Mère de Jésus. Pourquoi conserver un langage ampoulé pour communiquer en toute vérité et naturel avec elle ? Je reconnais, dans cette pompe langagière, le même esprit qui amenait à interdire aux élèves d’il y a 5 décennies des livres qui aujourd’hui font l’objet de consensus. On plaçait ces bouquins dans « l’enfer » – c’était effectivement le terme officiel – de la bibliothèque.

On voit le caractère artificiel de ce mode langagier. On ne dirait pas à une voisine : « Le troisième fruit de tes entrailles a commencé l’école lundi. » Ou encore : « Ma sœur a eu cinq fruits de ses entrailles. » Autant dire que plusieurs croyants utilisent une fixation langagière. Il m’apparait que cette fixation constitue un épiphénomène révélant dans les soubassements du psychisme chrétien d’autres éléments du même genre. Certains verront un lien entre cette fixation et la rareté des jeunes gens à l’église.

Une autre conséquence, terrible, celle-là, porte sur le deuxième amendement américain. Rappelons la nature d’un amendement à la Constitution de nos voisins. Pour être adopté, il doit traverser une série d’approbations au deux tiers, à la fois des élus et du nombre des États. Il s’agit donc d’une décision largement acceptée et ratifiée.

Cet amendement visait à l’origine un besoin pressant. Dans la jeune colonie non encore libérée du joug britannique, et dans les quelques années suivantes, en butte aux gangs de hors-la-loi, aux luttes de territoire avec les tribus amérindiennes, et bientôt avec la guerre de Sécession, la possession d’un moyen de défense appropriée s’imposait.

La fixation consiste à conserver cet amendement dans un monde contemporain qui, non seulement n’en a plus besoin, mais s’en trouve mortellement menacé. Ainsi, la prolifération d’armes aux États-Unis produit annuellement la mort de 30 000 citoyens. Mais, comme dans la plupart des fixations, on la justifie par la rationalisation : c’est au nom de la liberté personnelle que se trouve justifié le deuxième amendement…

Plus généralement, les livres d’histoire témoignent de nombreuses fixations. On n’a qu’à comparer l’histoire du Canada dans les deux versions de nos deux langues nationales.

Notons enfin que la fixation constitue, à mon sens, un analogué du refoulement. La conscience moderne, appréhensive parce qu’elle a perdu le sens des fins dernières, verse dans plusieurs fixations. On craint la mort, et les traumatismes qui la rappellent indirectement. On se fixe donc dans un langage artificiel. On ne parle plus de sourd, mais de malentendant. Les aveugles sont devenus des mal-voyants. Plus généralement, je trouve excessif l’engouement pour les animaux. Il m’apparait une fixation contre la crainte de l’amour humain et ses exigences. Fixation narcissique, qui témoigne de la fragilité par rapport aux réalités plus profondes de la vie.