Montréal

Nouvelles

LE MONDE EN ORBITE 4

24-06-2017

LE MONDE EN ORBITE 4

 

par Michel Frankland

La vision darwinienne éclaire également les rapports entre les dirigeants et l’instinct populaire.

On se souvient de 1984 de Orwell. Big Brother contrôle les esprits. C’était un livre de fiction ; c’est maintenant la réalité. Tout ce que vous regardez sur le Web se trouve à la fois enregistré, classé à votre nom, objet de tri spécifique selon des critères précis. Tout ce que vous achetez à l’épicerie est noté. Et, bien sûr, vous avez compris que, par échange de « bons » procédés, comme larrons en foire, les diverses entreprises commerciales s’échangent des informations à votre sujet. La compagnie XYZ sait quels livres vous avez achetés d’Amazon, quels postes de télé vous regardez, combien de temps vous passez sur chaque poste.

 

 

La différence avec Big Brother rend la situation actuelle pire que dans 1984 en ce sens qu’elle est à la fois plus complète et plus douçâtre. Elle est plus feutrée. Et c’est justement la différence entre la propagande et l’annonce commerciale. La propagande se rue sur toi, elle t’impose des dictats au nom d’une doctrine que tu comprends quelque peu mais, sous peine de sanctions graves en cas d’infidélité. Nous sommes ici au niveau de l’obligation. La stratégie commerciale croit, par expérience et avec raison, que l’être humain sera davantage attiré par ses désirs que par la férule. Il s’agit donc pour Big Money, petit-fils de Big Brother, de décoder le plus complètement possible la mécanique inconsciente de chaque client – de chaque être humain en tant qu’il dépense.

Il en va de même en politique. Les « Focus groups » et les statistiques officielles ou commandées pour plus de précision par les partis politiques, entre autres techniques, fournissent des renseignements précis sur la géographie émotive de l’électeur. Sur quels boutons verbaux il faut peser pour déclencher l’attitude favorable. La cible se trouve même souvent précisée pour une région, voire un compté. C’est une science qui implique la gestion du temps (quel est la durée de la mémoire populaire ; comment chemine cette mémoire à travers les mois, et que retient-elle), et la présomption des partis qui ont voulu avant le temps déclencher l’élection se sont presque toujours fourvoyés par une défaite amère.

 

 

Devant Big Money, l’instinct populaire se défend beaucoup mieux que l’on croit. Je vous recommande sous ce rapport un best-seller, The Evolution of Everything de Matt Ridley – chez Amazon, bien sûr. Le livre de Ridley montre comment l’évolution échappe aux dirigeants (dans notre contexte, à Big Money). L’évolution est spontanée, rampante, imprévisible aussi bien qu’inexorable. Elle est aussi impulsive que le peuple. Pour le croyant, c’est Dieu qui n’a que faire des grands de ce monde et propulse, à travers le peuple, des inventions, des nouveautés qui déroutent les plans des planificateurs patentés. Les termites construisent leurs cathédrales de boue séchée sans architecte. La Révolution industrielle, l’invention du cellulaire – aux conséquences énormes en termes de civilisation, la montée de l’Asie, l’avènement d’internet, les changements linguistiques qui, au fil des siècles, ont créé des langues différentes, bref des transformations fondamentales, n’ont jamais été prévues par les huiles qui trônent aux divers sièges du pouvoir.

 

 

Ridley estime que c’est par essai et erreur que ses créations fondamentales se produisent. Au fond, nous retrouvons ici exactement l’intuition de Darwin. Les groupes – d’oiseaux, de fourmis, d’humains – s’essaient à tout ce que l’instinct les pousse à réaliser. Mais ces choix obscurs proviennent toujours d’individus marginaux qui hument une voie plaisante… et bientôt la tribu suit, découvrant la jonction du plaisir et de l’efficacité. Ainsi de l’invention de la roue par un « Steve Jobs » du hameau, comme le cellulaire contemporain.

 

 

De la même manière, ce qui semblait permanent tombe tout à coup, en l’espace de quelques années ou moins. Ainsi, Saint Paul parle de la sollicitude nécessaire envers les esclaves. De même, dans notre 2017 collectif, il se produit soudain un Macron, fort peu connu, qui devient président de la République et obtient une majorité absolue de délégués. De même encore, l’Empire Soviétique, solide comme le roc et comme le mur de Berlin, est tombé en désuétude. Bref, les postulats qui semblaient couler dans le ciment se modifient avec des conséquences impérieuses et sans rapport avec les représentants officiels.