Montréal

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LE MONDE EN ORBITE 2.2

17-06-2017

LE MONDE EN ORBITE 2.2

par Michel Frankland

Il faut donc passer les enfants. Faut-il le rappeler, l’idée de la gauche consiste à croire au réveil progressif du talent qui « dort » dans l’enfant. « Passons-le, il accédera, s’il le veut vraiment, à des résultats meilleurs. » Mais l’éveil du prodige endormi reste, dans l’immense majorité des cas, dans le sommeil de l’incompétence prolongée. Il y a un an ou deux, j’ai écrit dans le Carrefour des opinions un article qui touchait le point illustré ici. Interrogées des commissions scolaires demeuraient vagues. Le bon sens conclut qui si tu ne passes pas, tu coules ! Elles doivent donc naviguer dans le vague verbal. Et, pour se trouver un point d’encrage, on affirmait que certains ne passaient pas – la belle affaire !…

 

 

Il s’en suit deux détestables corollaires. Le premier porte sur les nécessaires prouesses de l’enseignant. Plus on enseigne aux plus grands, disons en sixième année ou au secondaire, plus la classe se trouve formée d’enfants incompétents, parce que promus quand même – les seuls redoubleurs sont les esprits au talent mince comme une feuille. Le prof doit donc les égayer, les tenir dans une attention à peu près acceptable. L’enseignant devient un amuseur public. Je présume qu’il sort complètement vidé de ces cours…

 

 

Le deuxième corolaire m’apparait franchement plus grave. J’ai vu à la télévision quelques minutes de ce cours de haute voltige professorale. Le contraste vient de la moitié de la classe qui voudrait étudier, apprendre quelque chose, mais le spectacle nécessaire pour maintenir un certain ordre à l’autre moitié sans trop de capacité de rétention ni d’attention les ennuie et les attriste. Pour reprendre la morne boutade exupérienne, c’est Mozart assassiné. Non pas ici comme pourrait l’entendre au sens fort l’auteur du Petit Prince, avec un père résolument alcoolique et un mère droguée et prostituée. Mais un Mozart – ou un Einstein – doucement assassiné, soumis à une classe inutile, voire franchement nuisible. Une classe antinomique, contraire à ses nobles objectifs. Il n’est pas étonnant que devant ce triste contexte, les parents sont prêts à de grands sacrifices pour que leurs enfants fréquentent l’école privée. Heureusement, surtout dans les quartiers plus aisés, il y a quelques écoles dont on peut dire qu’elles arrivent à fonctionner à peu près correctement. Encore que l’intimidation se trouve presque exclusivement dans les écoles publiques… et des enfants en sont marqués pour la vie. Certaines de ces victimes se suicident, mais on en occulte la cause, trop dommageable pour la réputation de l’école.

 

 

Devant ce cynisme aux origines politiques, on comprend que des profs, et souvent parmi les plus dévoués, abandonnent, justement parce qu’ils croient à l’éducation et ne veulent plus vivre cette mascarade. Ajoutons à cela un travers administratif, particulièrement prononcé au Québec, l’exigence de trop nombreux rapports administratifs. On m’a laissé entendre que le fonctionnariat avait fini par réaliser le caractère excessif des rapports qu’il exigeait. Serait-ce parce que les PME, victimes des mêmes excès, ont obtenu une écoute plus attentive du gouvernement (parce que EUX, c’est vraiment important, alors que les enseignements…) Vous souvenez-vous du film choc de Caroline Martel, Dernier appel ? Le même jour, ou à un jour près, deux catégories des employés de Bell signent leur nouvelle convention collective. Les téléphonistes, essentiellement féminines, n’obtiennent rien, et reculent même sur certains aspects. Mais les ouvriers obtiennent une excellente convention parce que EUX se servent de bats de baseball. EUX, c’est important. L’histoire finit bien : la cour donne raison aux téléphonistes.

 

 

Peut-on espérer une éducation débarrassée de l’emprise électoraliste ? Certaines régions du monde y arrivent. Mais il est symétriquement vrai que des fleurs poussent à travers les craques dans l’asphalte. Il s’avère difficile de mariner toujours constamment dans l’incompétence systémique. On peut donc espérer une éducation plus dégagée des intérêts qui la réduisent. Une éducation où le corps professoral, que je sais être animé de générosité et d’idéal, puisse enfin donner auprès des étudiants sa patience attentive et sa noblesse de cœur ! Mais dans des conditions gagnantes, soit des étudiants de même niveau. Une classe cohérente, pas un agrégat hétéroclite de talents disparates.

Pour mieux comprendre la nature de la mise en orbite, nous revisiterons Darwin, souvent mal décodé. Ce sera l’objet de LE MONDE EN ORBITE 3