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LE FRANÇAIS ET L’ANGLAIS, DEUX MÉTHODES DE PERCEPTION

21-10-2016

LE FRANÇAIS ET L’ANGLAIS, DEUX MÉTHODES DE PERCEPTION

 

 

par Michel Frankland

Un proverbe italien énonce finement le sujet qui va suivre : Traduttore traditore.

Un traducteur un traitre. Soit : tout traducteur est un traitre. Entendons que le moindrement qu’on touche à une pensée quelque peu complexe, on ne pourra jamais traduire avec une absolue équivalence.

 

Les raisons de l’inaptitude à la traduction parfaite se réfèrent à plusieurs niveaux. La différence entre les langues se situe d’abord au degré le plus élémentaire. Celui des termes. Ils n’ont pas toujours la même extension ni la même sensibilité. L’adjectif
« agressive » en anglais revêt une charge plutôt positive. « We want an aggressive saleman ». En français, un vendeur agressif pourrait perdre son emploi. Agressif constitue un excès. Un manque de civilité. Un rustre est agressif. L’entreprise commerciale chercherait un vendeur dynamique.

 

Les concepts seront assez proches, sinon pratiquement identiques ; cependant, la sensibilité que chacun charrie différera souvent. Si, décrivant une attitude épaisse, je juge que c’était « pas mal gros », l’anglais « quite big » annoncerait une dimension physique considérable. L’adjectif anglais « thick » en donne une approximation qu’un traducteur, selon le contexte précis, pourra juger correcte. Mais justement, comme traduction littérale, les deux termes ne se rejoignent pas.

 

Différence plus profonde, les conceptions du temps partent d’une division chronologique franchement éloignée. Ainsi, le français se situe au centre du réel et sépare en trois grandes catégories la chronologie : passé, présent, futur. Et, naïvement, nous nous imaginons que toutes les langues utilisent ce schéma on ne peut plus universel. Erreur !

Dans les langues anglo-saxonnes, anglais, allemand, hollandais, il n’y a que deux temps fondamentaux : le passé et le non-passé. Il n’y a pas de futur dans ces langues. Il faut le composer. Alors qu’en français, j’irai est le futur de je vais, je devrai le fabriquer en anglais : I go, I will go (ou, dans sa variante plus classique, I shall go). Soit, littéralement : j’ai volonté aller. L’allemand nous renvoie au devenir : Ich gehe, Ich werde gehen : Je suis en devenir d’y aller. Notons que la conception française permet une nuance intéressante. Soit la distinction entre futur plus éloigné et futur immédiat. Je vais y aller se réfère dans l’immense majorité des cas à un futur immédiat.

L’inférence sur les temps en anglais rejoindra aussitôt le lecteur. S’il n’y a pas de futur directement exprimé en anglais, c’est qu’il y a une notion fort intéressante, qui échappe au français. Celle d’une continuité actuelle. Le participe présent la véhicule. Ainsi, I am walking fast to be on time. Cette affirmation indique une actualité qui se déroule dans le temps. Alors que I walk fast to be on time se référera plutôt à un état général : j’ai pris l’habitude de marcher, dans un présent quotidien chaque fois renouvelé. On pourrait aussi comprendre, à la limite, une référence actuelle. Par exemple, vous êtes l’objet d’une interview spontanée d’un journaliste qui s’interroge sur le lourd achalandage de cette rue. Il demande à la personne pressée d’où vient l’urgence. Réponse : « I walk fast to be on time. » En fait, c’est un faux présent ponctuel. En effet, la personne interviewee indique ici un état général. L’indication au journaliste porte sur une manière habituelle de se comporter en allant au travail à cette heure matinale.

Je termine ce premier article sur la proposition dont nous venons de constater l’emploi. Encore ici, le français et l’anglais découpe diversement la manière indiquée par la préposition. To be on time n’aurait pas de sens en français avec «pour être sur temps »
Mais isolons plus spécifiquement la proposition « on » en anglais. I am going on the train in a few minutes. “Sur le train” en français relèverait de l’aventure. On embarque DANS le train.

Dans le deuxième article sur ce sujet, nous creuserons plus profondément. Nous constaterons, entre autres, que les deux langues, prises comme système global, sont de nature différente.